Si, de toute évidence, l’intellect prend congé dès que ça mouille et que ça bande, l’écriture qui se mêle de sexe n’en est pas moins, parfois – lisez Sade -, extrêmement pensante. Phénomène suspect? Féminin? Délicieusement pervers? Patrice Dansereau, qui aime vraisemblablement à sonder l’intérieur des cerveaux en même temps (?) que l’intérieur des orifices, se délecte d’offrir ses réflexions sur la chose dans son Livre d’Éros: un lexique qui va de l’Abandon au Zizi, qui verse parfois dans le psychologisme obscur mais heureusement assez souvent dans la poésie charnelle. "Le cul des femmes est trop précieux pour ne pas s’encombrer de formules magiques. Il exige la louange avant de s’abandonner et la fermeté avant de s’ouvrir." Mmm… Avec par ailleurs une soixantaine de citations tirées de romans connus et moins connus de la littérature érotique, et une collection de fort seyantes illustrations, Le Livre d’Éros est un bel ouvrage de cul et de tête made in Québec, garant de préserver la bonne conscience de ses lecteurs lubriques…
Il en va autrement du premier recueil de nouvelles, fraîchement sorti des presses, d’une jeune femme de chez nous également (qui signe du nom de William St-Hilaire) et qui donne une très bonne idée de ce qui peut être accompli par un homme et une femme, ainsi que l’annonce le titre, dans les "banquette, placard, comptoir et autres lieux". Peu est laissé à l’imagination ici, alors que l’héroïne en rut revient, d’une nouvelle à l’autre, s’abandonner aux orgasmes foudroyants que lui procurent tantôt ses doigts, tantôt divers objets, et plus souvent l’un et l’autre attributs de son amant. Abc de la jouissance féminine (trois doigts ici, une langue là, brassez le tout avec patience…) apte à inspirer, voire renseigner l’homme, et pourquoi pas la femme, en panne d’idées, l’ouvrage ne se targue évidemment pas d’être une thèse sur les rapports amoureux. Ce qui, de fait, est un peu dommage: l’auteure ayant placé la majorité de ses nouvelles sous le thème de l’obsession d’une femme pour un homme à la queue fabuleuse mais au coeur pris ailleurs – et, de ce fait, terriblement défectueux -, il eût été intéressant qu’elle poursuive dans la voie d’Annie Ernaux (Se perdre, Gallimard, 2001) en jetant un peu de lumière sur ce grand fléau… On aime à en perdre la tête. On aime? Pas sûr, mais, indéniablement, on perd la tête. L’abandon débile, à la Annie Ernaux, et son vis-à-vis, la possession simple, s’ils ne sont pas de toutes les vies, sont sûrement de tous les meilleurs romans érotiques.
Ainsi de ce titre classique dû à l’auteur d’origine hongroise Stephen Vizinczey (lequel vit à Toronto depuis longtemps), et qui se voit réédité plus de 25 ans après sa première parution, Éloge des femmes mûres. Peu de scènes torrides, au vrai, dans ce superbe roman d’apprentissage, mais un narrateur à qui, foi de nouvelle quarantenaire, on donnerait la lune droite, et la gauche aussi. Enfant candide et assoiffé de désir, András Vajda a 11 ans lorsqu’il sert d’entremetteur pour les soldats américains. Renonçant à raconter l’ampleur des souffrances endurées durant la Seconde Guerre, il s’évertue plutôt à parler avec une tendresse inouïe de ces femmes qui l’ont initié aux plaisirs du sexe, de celles qu’il a espionnées, de celles pour qui, plus tard, il s’est morfondu d’amour. Et de celles à qui il a dit "je t’aime" quand c’était faux. Preuve que même avec toute la bonne volonté du monde, en temps de sexe, le cerveau finit toujours par fiche le camp…
Le Livre d’Éros
de Patrice Dansereau
Éditions Carte blanche
2001, 199 pages
Banquette, placard, comptoir et autres lieux
de William St-Hilaire
Lanctôt éditeur
2002, 148 pages
Éloge des femmes mûres
de Stephen Vizinczey
Anatolia / Éditions du Rocher
2001, 240 pages