Hubert Mingarelli : Sur la route
Livres

Hubert Mingarelli : Sur la route

HUBERT MINGARELLI, peu connu au Québec, pratique une littérature proche de l’imaginaire d’ici. Cet écrivain français partage avec nous la passion des rapports entre enfants et adultes, et celle de la nature, véritable personnage. Nous l’avons joint chez lui, dans l’Isère, avant son départ pour la promotion de son livre dans la capitale.

Au bout du fil, haut perché sur sa montagne de l’Isère dans les Alpes françaises, Hubert Mingarelli paraît tout étonné qu’on s’intéresse à lui. Discret, il couve ses romans loin des bruits de la ville et des mondanités parisiennes. Il n’aime pas beaucoup parler de lui. Mais pourtant, il sait se montrer généreux, pour peu qu’on évoque ses livres plutôt que son signe astrologique.

En fait, l’écrivain de 46 ans, né en Lorraine, est aussi secret que ses histoires sont pleines de sous-entendus, de mystère, de silences. Dans ses livres, Mingarelli développe depuis ses tout débuts, il y a une douzaine d’années, le thème du lien entre l’adulte et l’enfant. Comme dans Une rivière verte et silencieuse (1999), histoire émouvante et superbement écrite racontant le monde fabuleux que s’inventent un père et son jeune garçon, dans la vie pauvre et difficile qui est la leur. Comme dans La Dernière Neige (2000) également, où un adolescent et son père malade trompent la tristesse en rêvant à un milan, oiseau rapace au port royal.

L’enfance de l’art
Ce thème père-fils se retrouve dans plusieurs autres romans de l’écrivain, et encore dans La Beauté des loutres. Ici, pas de lien filial entre les deux personnages, mais quelque chose qui y ressemble fortement. Horacio doit aller vendre ses moutons de l’autre côté de la montagne, et emmène avec lui le jeune Vito, qui l’aidera dans sa tâche. Le premier est un homme bourru, asocial, mais capable d’éprouver tendresse et affection. L’adolescent, poli, candide, observe cet étrange berger. Tous deux partent à la nuit tombante, en hiver, et la tempête menace leur sécurité et celle des bêtes, leur gagne-pain.

Le roman raconte cette traversée dangereuse, au cours de laquelle l’enfant découvre son propre courage. "Ce lien entre l’adulte et l’enfant est vraiment quelque chose qui m’habite, je l’avoue, dit humblement Mingarelli, à qui on pourrait reprocher de réécrire le même roman. Trop souvent, poursuit-il, l’on croit que les adultes savent tout, et que les enfants, parce qu’ils sont petits, ont tout à apprendre. Mais je crois que les jeunes sont beaucoup plus capables de comprendre qu’on se l’imagine. Ils sont courageux, et plus adultes que l’on pense." Surtout, c’est le passage de l’enfance à la vie adulte qui le fascine. "Je crois que c’est le moment le plus important de notre vie, c’est là que compte ce que nos parents nous ont donné (ou non), car c’est aussi ce que l’on donnera (ou non) à nos enfants: c’est là que l’on apprend, que l’on se mesure à nous-même, aux grands."

Dans La Beauté des loutres, le jeune Vito n’est pas peu fier d’accompagner Horacio, de lui allumer ses cigarettes, de donner de l’eau aux moutons, de les surveiller. Il devient un petit homme sous le regard angoissé mais bienveillant de celui qui doit aussi le protéger. "Le camion dévia de sa trajectoire vers la gauche et sembla monter de travers. Avec par moments des à-coups, comme si le moteur calait et repartait." Seuls dans leur cabine, au milieu d’une route sombre et enneigée, les deux hommes risquent leur vie. "Il entendait le bourdonnement d’un avion quelque part au loin. Mais il savait que ce n’en était pas un. Il posa ses deux mains sur son front. Le bourdonnement devint plus aigu. Il recula ses mains sur ses oreilles et il ferma les yeux. L’avion lui percuta la poitrine et il lui sembla qu’il hurlait de douleur."

C’est ce thème des apprentissages (de la violence, de ses propres limites, de ses peurs) et la présence de personnages d’enfants qui ont valu à l’écrivain de voir ses six premiers livres classés "romans jeunesse". Pourtant, lui-même n’a jamais préféré un public à un autre, ni adressé ses histoires aux jeunes plutôt qu’aux adultes. "Tout ça m’embêtait un peu, parce que je visais un public général, je n’avais absolument pas en tête d’écrire davantage pour les jeunes que pour les adultes. Et c’est vrai qu’il y a toujours des enfants dans mes livres, mais enfin, ces enfants sont un peu entre deux âges." Ils sont aussi intemporels, tout comme les grands qui les entourent. "Ajoutez à cela que la critique en littérature jeunesse est à peu près inexistante en France… Ce qui fait que vos livres passent complètement inaperçus. C’est l’arrivée d’un nouveau directeur de collection aux Éditions du Seuil qui a tout changé: il a jugé que mes livres s’adressaient à tous et a décidé de les publier pour un grand public. Depuis Une rivière verte et silencieuse (1999), je peux enfin être lu par plus de monde." Comme quoi le destin des livres ne tient pas à grand-chose!…

Grandeur nature
Le directeur en question a certainement vu aussi l’originalité de Mingarelli. "J’aime bien situer mes histoires ailleurs que dans le milieu bourgeois, bon chic, bon genre; tout ça me laisse assez froid. Je suis plutôt attiré par la littérature anglo-saxonne comme celle des John Fante, Jack Kerouac, Raymond Carver, dont les imaginaires m’inspirent davantage."

Faisant fi des sujets à la mode (résumons-les: le sexe, l’argent, la pub, la fin de l’Histoire, la politique et les partouzes), l’écrivain a donc opté pour une histoire intimiste mais dense. Avec une économie de moyens stupéfiante, un vocabulaire simple et réaliste, il plonge le lecteur dans un suspense haletant. Comme ses modèles littéraires, et comme aussi chez nos écrivains nord-américains francophones (Louis Hamelin, Robert Lalonde ou encore Gilles Tibo), Mingarelli donne également à la nature sauvage et indomptable un premier rôle dans ses romans. Les animaux que souhaite voir surgir le jeune Vito; les cours d’eau que croisent les deux hommes; la neige, le froid, l’obscurité: tous ces éléments contribuent à fournir au récit un aspect merveilleux, un climat de fable, fantasmatique. "J’avoue que ce décor donne quelque chose d’un peu irréel au récit, convient Mingarelli. Personnellement, j’adore ce côté "conte" qui dépayse. Je trouve cela plus facile de me concentrer sur mes personnages; et pour moi, la nature est plus qu’un décor: elle agit sur l’histoire, elle fait littéralement partie de l’action."

La grande réussite de ce roman est aussi ce ton bien particulier qu’adopte Mingarelli. Bien que les dialogues soient parfois crus, les répliques du berger, cinglantes, tout le récit nous paraît murmuré, comme chuchoté à notre oreille.

Ce n’est pas la moindre des qualités de cette écriture que de faire parler les silences.

La Beauté des loutres
Éd. du Seuil
2002, 173 p.

La Beauté des loutres
La Beauté des loutres
Hubert Mingarelli