Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland : L'Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet
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Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland : L’Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet

Dommage! J’aurais bien aimé profiter de la parution de L’Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet pour complimenter Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland. Depuis des décennies, ces deux historiens oeuvrent dans l’ombre, publiant de solides travaux chez d’obscurs petits éditeurs, parfois à compte  d’auteur.

Dommage! J’aurais bien aimé profiter de la parution de L’Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet pour complimenter Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland. Depuis des décennies, ces deux historiens oeuvrent dans l’ombre, publiant de solides travaux chez d’obscurs petits éditeurs, parfois à compte d’auteur. Ils ont été parmi les premiers à s’intéresser au Québec des lendemains de la Conquête: une époque fascinante et encore méconnue, où la vie intellectuelle et culturelle a été effleurée par l’esprit des Lumières, par des idées de liberté et de tolérance, avant d’être étouffée par l’intégrisme catho pendant plus d’un siècle, jusqu’au moment de la Révolution tranquille. La contribution de Ruelland et de Lagrave à la connaissance des oeuvres et des hommes de cette époque est des plus remarquables.

Dommage! D’abord parce que L’Imprimeur des Libertés est un roman d’une écriture extrêmement maladroite. Le livre carbure aux clichés; il déborde de dialogues sentencieux; la narration est platement descriptive. On ne cesse de nous dire ce que ressentent les personnages, sans jamais parvenir à nous faire partager leurs sentiments.

Dommage! Car la vie de Fleury Mesplet et des gens de son entourage a de quoi nourrir un très bon roman. Né en France, Mesplet est passé par l’Angleterre et les États-Unis avant de venir s’installer au Québec en 1776, sur les pas des colonies rebelles américaines qui tentaient alors de nous rallier au mouvement devant conduire à leur indépendance et à la création de la première démocratie moderne. Il est le fondateur de la Gazette littéraire, le premier périodique culturel de notre histoire, qui s’est fait le porte-parole des idées des Lumières, principalement celles de Voltaire. Mesplet et ses collaborateurs diffusaient des opinions qui n’avaient pas l’heur de plaire aux autorités en place, ce qui leur a valu la prison à plus d’une occasion, cela avec la bénédiction du clergé.

Dommage! Car la vie de Mesplet n’avait pas besoin, pour devenir intéressante, d’être agrémentée des faussetés historiques qui sabotent presque chacune des pages de L’Imprimeur des Libertés. Mesplet n’est pas arrivé à Philadelphie sur le même bateau que Thomas Paine, l’auteur de Common Sense, le pamphlet qui devait conduire à l’indépendance des États-Unis. Marie, la seconde épouse de Mesplet, n’a pas traduit la deuxième lettre que le Congrès continental a adressée à la population du Québec afin de l’inciter à soutenir la rébellion des Colonies-Unies. Elle n’a pas été tuée par un prêtre défroqué agissant plus ou moins directement sous les ordres de l’évêque de Montréal. Marie-Anne Tison, la troisième femme de Mesplet, n’est pas l’auteur de La Bastille septentrionale. Mesplet n’est pas mort sous les coups d’une bande de fiers-à-bras menée par Pierre de Sales Laterrière. Et la liste pourrait continuer pendant des pages et des pages.

Dommage! D’autant plus qu’on ne peut pas prêter aux auteurs l’excuse de l’ignorance. De Lagrave est le signataire d’une "biographie politique" de Fleury Mesplet: un ouvrage proprement magistral qui, sous le titre de L’Époque de Voltaire au Canada (à dénicher chez les libraires qui font dans le bouquin usagé), constitue encore une des meilleures publications sur la vie intellectuelle du Québec de la fin du 18e siècle!

Dommage! Fleury Mesplet et son époque méritent grandement d’être enfin sortis des limbes de notre histoire. Pas d’être ensevelis sous un amoncellement d’anachronismes et de falsifications. En troquant leurs chapeaux d’historiens contre ceux de romanciers, Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland étaient évidemment en droit de s’accommoder de demi-vérités, et d’embellir ou de noircir à leur guise certains aspects des personnages et des événements historiques qu’ils évoquent. Mais il y a tout de même des limites à la fabulation. L’Imprimeur des Libertés n’est pas un roman, mais un énorme mensonge historique, et ça, c’est vraiment très dommage! Éd. Point de fuite, 2001, 389 p.

L'Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet
L’Imprimeur des Libertés: Fleury Mesplet
Jean-Paul de Lagrave et Jacques G. Ruelland