Benoît Chaput : Les oies de Cravan
Qualifié d’"éditeur lent", L’Oie de Cravan n’en incarne pas moins l’une des plus fertiles aventures éditoriales des dernières années. À l’heure de souffler 10 bougies, nous nous sommes entretenus avec BENOÎT CHAPUT, son sympathique fondateur.
"Les oies de Cravan naissent du mat pourri des navires perdus au golfe du Mexique", a un jour écrit Louis Scutenaire, un poète surréaliste belge. "Avec ce nom, raconte Benoît Chaput, je rendais à la fois hommage à Arthur Cravan, le boxeur-poète qui a influencé beaucoup les dadaïstes, à Louis Scutenaire, bien sûr, mais aussi à l’oiseau." Quand on sait l’intérêt de l’éditeur montréalais pour la poésie animalière, l’appellation prend tout son sens.
Louis Scutenaire est donc indissociable de la fondation de la maison, et ce, à plus d’un titre. "Il y a une dizaine d’années, se souvient l’éditeur, j’ai rencontré Irène Hamoir, sa veuve. Ça a été une rencontre déterminante. Son dynamisme, sa volonté (elle est l’une des fondatrices du Parti communiste belge) et ses encouragements m’ont donné envie de concrétiser le projet qui me trottait dans la tête. De retour au Québec, je publiais moi-même Loin de nos Bêtes, mon premier recueil. Pas parce que je n’avais pas trouvé d’éditeur – je n’en avais pas cherché – mais parce que je voulais le faire à ma façon." C’est donc sous le signe de l’influence surréaliste que L’Oie de Cravan était fondée, en 1992.
"J’aime faire des livres, poursuit Benoît Chaput, dont chaque titre est un petit objet singulier, confectionné avec un soin amoureux. J’aime la mise en pages, la typographie, le choix des papiers…, dit encore, l’oeil brillant, celui qui n’a obtenu sa première subvention comme éditeur que l’an dernier! Quand on entre dans le contexte des subventions, il y a une série de critères à respecter (nombre de titres par année, nombre de pages, citoyenneté des auteurs); il est facile de s’engager dans un couloir." Après avoir cherché sa voie pendant huit ans, Benoît Chaput avait établi un style éditorial bien à lui, un style étanche aux compromis. "Mais je me méfie. Je veux vivre de l’édition, oui, mais je ne veux pas devenir une machine à faire des livres. Le pilote automatique, très peu pour moi!"
Les livres de la jungle
À L’Oie de Cravan, la poésie loge à plusieurs enseignes. Dans les recueils, ça va de soi, mais aussi les BD, les mini-livres tirés à six exemplaires chacun (!), ou encore dans la Revue des Animaux, probablement la revue la plus originale publiée au Québec ces dernières années. Voyez un peu: le format et la maquette changent à chaque numéro, sans compter que la revue, qui a compté les signatures d’Hélène Monette, José Acquelin et tant d’autres, paraît quand bon lui semble – le dernier numéro remonte à juin 2000! Benoît Chaput nous assure toutefois qu’elle n’est pas en voie de disparition. "Bien qu’à partir du prochain tirage, lance-t-il à la blague, il faudra peut-être la rebaptiser "NRA": la Nouvelle Revue des Animaux!"
Là encore, on perçoit un grand intérêt pour les bestiaires, de même que pour le surréalisme, le dadaïsme et autres mouvements d’avant-garde du 20e siècle. Une influence qui colore aussi Le Démon familier, le troisième recueil de Benoît Chaput, paru il y a peu. Un livre empreint de rêverie (celle qui ne rime jamais avec mièvrerie), en marge de certains courants contemporains. "Je n’ai pas envie de faire ni de publier une poésie artificiellement urbaine. Au Québec, il y a une tendance où l’on veut donner à tout prix l’impression d’appartenir à la réalité urbaine, en utilisant un lexique anglicisé, ou slang. À travers un certain onirisme, je cherche à faire une poésie plus proche de la vie intérieure des gens. Les images d’animaux et d’enfance, ça peut rejoindre tout le monde."
Pour souligner l’anniversaire, L’Oie de Cravan lance trois nouveaux titres, soit les recueils de Julie Doucet et Simon Bossé ainsi qu’un très beau recueil de dessins de Jeff Ladouceur. Ces titres s’ajoutent à la vingtaine de livres publiés à ce jour.
Le Démon familier
Éd. L’Oie de Cravan, 77 p.