Fred Vargas : Pars vite et reviens tard
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Fred Vargas : Pars vite et reviens tard

Josh Le Guern est crieur de profession, par son arrière-arrière-grand-père. Un métier que l’on croyait disparu, qui a permis à cet ex-marin et ex-taulard breton de refaire sa fortune et sa réputation.

Josh Le Guern est crieur de profession, par son arrière-arrière-grand-père. Un métier que l’on croyait disparu, qui a permis à cet ex-marin et ex-taulard breton de refaire sa fortune et sa réputation. Chaque matin, il récolte, dans une grosse urne placée à cet effet au carrefour Edgar-Quinet-Delambre, les messages et l’argent laissés la veille par les clients du quartier. Des annonces le plus souvent anodines: "Vends portée de chatons blancs et roux, trois mâles, deux femelles"; "Ceux qui font du tambour toute la nuit avec leur musique de sauvages en face du no 36 sont priés d’arrêter. Il y a des gens qui dorment"; "Jean-Christophe, reviens", qu’il déclame, trois fois par jour à heure fixe, devant une poignée de curieux.

Mais depuis quelque temps lui parviennent, dans une luxueuse enveloppe blanche, de courts textes aussi inquiétants qu’indéchiffrables: "Tels signes sont l’abondance extraordinaire des petits animaux, qui s’engendrent de pourriture, comme sont puces, mouches, grenouilles, crapauds, vers, rats, et semblables, qui témoignent une grande corruption, et en l’air, et es humiditez de la terre", et autres sentences de la même eau trouble qu’il accepte de lire sans en comprendre le moindrement le sens, parce que "c’est payé, et bien payé".

Parmi les habitués du quartier, Decambrais, un retraité et "conseiller en choses de la vie", lettré féru d’histoire, reconnaît dans ces phrases énigmatiques des textes du Moyen-Âge annonciateurs de peste… Au même moment, un peu plus loin, le commissaire principal Jean-Baptiste Adamsberg, qui vient d’être affecté à l’antenne du XIIIe arrondissement de la brigade criminelle, reçoit une femme qui lui raconte, affolée, que d’étranges signes ont été peints en noir sur toutes les portes de son immeuble. De grands 4 à l’envers, signés CLT, "l’abréviation du fameux électuaire des trois adverbes", apprendra-t-on: "Cito, longe fugeas et tarde redeas. C’est-à-dire, Fuis vite, longtemps et reviens tard. En d’autres termes, casse-toi en vitesse et pour un bail."

Ainsi commence Pars vite et reviens tard, le huitième polar (ou rompol, comme elle les appelle joliment) de Fred Vargas, une originale douée d’un merveilleux sens de l’humour, qui pratique le double métier d’archéologue spécialiste du Moyen-Âge et d’auteure d’intrigues ludiques, érudites, bondées de personnages aussi savoureux que solidement campés. Des polars où l’histoire et l’Histoire s’entremêlent joyeusement, où l’on revisite nos vieilles peurs (la peste noire dans Pars vite et reviens tard, les loups-garous dans L’Homme à l’envers), et où l’auteure partage ses connaissances historiques avec des lecteurs qui n’en demandaient pas tant (on apprendra, entre autres, qu’au temps de la grande peste noire, on croyait dur comme fer que le diamant porté à la main gauche protégeait du fléau et qu’un 4 à l’envers, peint sur la porte, le repoussait).

Dans ce dernier polar, on aura, en plus du grand bonheur de lecture que procurent une bonne intrigue et un style qui séduit dès les premières lignes, celui de retrouver des personnages entrevus précédemment et auxquels on s’était attaché – dont le flegmatique Adamsberg, qui n’a aucune mémoire des noms mais que son instinct ne trompe jamais (L’Homme aux cercles bleus; L’Homme à l’envers); Vandoosler, ex-flic pourri et son fils Marc, médiéviste, qui sévissaient dans Debout les morts. Franchement, que peut-on souhaiter de plus?

Pars vite et reviens tard
de Fred Vargas
Viviane Hamy, 2001, 300 pages