Maxime-Olivier Moutier : Cri de guerre
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Maxime-Olivier Moutier : Cri de guerre

MAXIME-OLIVIER MOUTIER publie un recueil d’essais provocateurs: Pour une éthique urbaine. Il y fustige notre passivité, notre passion du consensus et notre manque de courage. Un livre vivifiant, qui condamne le cynisme et dénonce l’inertie politique et sociale.

"Le Québécois est quelqu’un qui te dit: "Oui, je serai là" et qui, en route, change d’idée, et ne vient jamais. Quelqu’un qui ne t’a pas téléphoné pour te dire qu’il n’y serait pas, et qui ne te téléphonera pas non plus pour s’excuser. Qui fera comme si de rien n’était en te croisant par hasard, le surlendemain, qui fera comme si personne n’avait jamais donné rendez-vous à qui que ce soit."

Pour Maxime-Olivier Moutier, les Québécois n’ont pas de parole. Pas de fierté, et pas non plus le courage de "prendre" la parole. Pour un féru de psychanalyse (il suit une psychanalyse, et a aussi quelques patients), quelqu’un qui croit au pouvoir de la parole et du discours comme instruments de changement, c’est la pire des catastrophes.

À travers ce livre, le jeune auteur de Marie-Hélène au mois de mars veut remettre l’éthique au goût du jour, pour que nous nous donnions une rigueur, nous remettions à croire en un certain pacte social (non, non, ce n’est pas un livre de science-fiction…).

Dans son recueil de 27 courts essais, tous écrits sur un ton très personnel, incisif ("je ne cherche pas à avoir raison", précise-t-il au cours de l’entrevue), Moutier exprime sa colère contre notre laisser-aller, notre manque d’orgueil, notre éternel silence comme peuple mais aussi comme individus. "Je crois que nous vivons dans une société dépressive, lance Maxime-Olivier Moutier. L’absence de débats, c’est un problème grave: on a tellement peur de lever le ton, de discuter, de s’exprimer, que l’on tue toute envie de parler chez quiconque aurait quelque chose à dire. Et tuer la parole, c’est tuer le désir, tuer l’envie de survivre."

Cela conduit le pays à être, comme l’a dit le dramaturge Wajdi Mouawad, "monstrueusement en paix". Et, tant qu’à vivre dans un semblant de quiétude, Moutier préfère la guerre, comme il l’écrit dans Alors je partirai: "(…) je crois que je préfère la guerre des autres pays à la paix québécoise. Je sais qu’ailleurs il existe de vrais ennemis. Des ennemis qui se battent pour de vrai."

Parler au lecteur
Maxime-Olivier Moutier travaille depuis 1997 à ses essais. "J’attendais l’impulsion pour les publier, confie l’écrivain. Je voulais que cela tombe dans un bon moment, qu’il y ait une cohérence." Il ne l’a peut-être pas fait exprès, mais il l’a trouvée: car la débâcle du Parti québécois (le Parti libéral n’est pas mieux, mais il n’avait pas promis de libération) prouve bien l’échec de la politique en général. Or, la vie en société est au coeur du livre de Moutier. Qu’est-ce qui nous lie les uns aux autres? "Dieu? Le Coran? Des codes, un pacte, quelle idée de la société? C’est sur ce sujet que je veux réfléchir. Et je veux pouvoir exprimer librement ce que je pense, dire la vérité sur nous sans chercher à plaire à tout le monde."

L’idée de "vérité" traverse d’ailleurs tout le livre de Maxime-Olivier Moutier. Toujours sur le bord de nous faire la morale, Moutier ne bascule pas du côté des bons sentiments, mais affiche ses couleurs, sa liberté. "J’ai besoin de dire vrai, de parler vrai. Je ne cherche pas à régler des comptes, ni à faire la leçon: je veux faire un travail avec mes idées, mettre de l’ordre dans ce que je vois autour de moi. C’est mon éthique à moi. Je veux me battre contre le mensonge ambiant qu’on entretient sans trop se poser de questions. La télé, par exemple, c’est exactement ça."

Et Moutier sait ce qu’il dit, puisqu’il en a fait (il était de la première mouture de Jamais sans mon livre, une émission consacrée à la littérature diffusée à Radio-Canada). "C’est une expérience qui m’a prouvé que je n’étais pas heureux de faire ça: ces images réductrices de la vie, de sa complexité, ce n’est pas pour moi. La télé, c’est un simulacre de la vie, donc son exact contraire." C’est peut-être pour ça que la télé a tant de succès! Quoi de plus confortable que de penser comprendre une idée ou une personnalité en une interview de cinq minutes? "Mais c’est précisément l’opposé de ce que je recherche dans ma vie: la profondeur, la richesse de la complexité. Je déteste la simplification."

Ce qui l’horripile: "Les gens voient, par exemple, Christiane Charette à la télé, et ils s’imaginent qu’elle n’est que ça: ils la voient dans la rue, et projettent sur elle l’image plate et fugitive qu’ils ont vue sur un petit écran. Mais elle est plus que ça, plus complexe, elle est vivante! Malheureusement, la télé ne permet pas de rendre compte de toutes les dimensions d’un être."

Mais le public croit-il vraiment à cette simplification? Ne sait-il pas que ce que l’on voit à la télé est réduit à un format? "Je pense que les gens vont au plus simple, répond Moutier, et c’est humain. Mais ce n’est pas mon choix."

Le livre de Moutier illustre parfaitement la prise de parole. "Pour moi, explique-t-il, l’écriture et la parole sont une forme de souveraineté, c’est celle que je me construis. Honnêtement, je préférerais que mon engagement soit politique, mais je ne serais pas capable d’y croire. J’ai beaucoup d’admiration pour des gens comme Laure Waridel (cofondatrice d’Équiterre), par exemple, qui mobilise du monde, et dont le travail commence à porter fruit. Mais je pense que militer, aujourd’hui, n’a plus de signification parce que nous n’avons pas une tradition de l’engagement, notre culture n’est pas celle de la politique. Surtout, je crois que nous ne sommes pas entendus; il faut donc trouver d’autres moyens, inventer. En ce qui me concerne, la littérature est un engagement, et pour le reste, je me contente de respecter les principes auxquels je crois."

Si nous faisions tous pareil…

Pour une éthique urbaine
Il faut plusieurs pages avant d’entrer réellement dans ce recueil d’essais. Parce qu’ils abordent plusieurs thèmes de prime abord hétéroclites tels que la boxe, l’amour, l’adolescence, la politique, l’après-référendum ("Même les Anglais entre eux ne comprennent pas pourquoi nous avons voté "non""), les hôpitaux, la psychanalyse, le suicide, la violence, Pauline Julien, et bien d’autres, on se demande où va l’auteur. Et puis, plus l’indignité gronde, plus on ressent sa colère. Et plus on comprend son projet: celui de parler de son rapport au monde à travers tous le sujets qu’il aborde. Car c’est le besoin de dignité qui court dans ces pages. "Ce ne sont jamais les méchants qui finissent mal. En notre monde qui éradique les gens de bien, en faisant semblant de ne pas trop s’en rendre compte, en se pressant au cimetière se faire pardonner leur absence. Les hypocrites, les menteurs et les opportunistes, toujours les premiers à suivre. Ceux que l’on récompense de gras salaires pour n’avoir jamais rien dit quand ils parlaient."

Cette ardeur qui enflamme les pages de son livre fait faire à Moutier des généralisations (les hommes ne savent pas faire l’amour aux femmes, "personne n’a vraiment envie de devenir un adulte") parfois lassantes; l’emportement de la pensée produit également quelques phrases un peu obscures ("Je tente une façon de le dire: on rengage les signifiants intégrés lors de cette période"). Ces quelques maladresses n’empêchent pas de suivre l’auteur tout au long de son parcours et de réfléchir avec lui. Éd. de l’Effet pourpre, 2002, 190 p.

Pour une éthique urbaine
Pour une éthique urbaine
Maxime-Olivier Moutier