David Lodge : Pensées secrètes
David Lodge possède le don précieux de rendre ses lecteurs intelligents. Ou, à tout le moins, de faire en sorte qu’ils aient cette impression.
David Lodge possède le don précieux de rendre ses lecteurs intelligents. Ou, à tout le moins, de faire en sorte qu’ils aient cette impression. Prenez le dernier-né du brillant romancier anglais. Pensées secrètes s’organise autour d’un sujet ardu: la conscience, jusqu’alors le domaine incontesté de la littérature, mais considérée par certains scientifiques contemporains comme un simple "épiphénomène du surplus de capacité cérébrale". Le roman jongle donc avec les concepts abstraits, abuse parfois un peu des débats relevés. Mais tout ça avec ce sourire en coin et ce ton ironique qui font des meilleurs Lodge des divertissements de haute tenue intellectuelle.
Encore une fois, le satirique auteur d’Un tout petit monde revient sur le lieu de ses crimes passés, sur son terrain de chasse de prédilection: le campus universitaire, saisi à travers ses jalousies, ses trahisons, mais surtout les liaisons adultères qui y abondent.
Comme Jeu de société, Pensées secrètes dépeint aussi la collision entre deux mondes, incarnés ici par Ralph Messenger, le charismatique – et très satisfait de lui-même – directeur de l’Institut des sciences cognitives, et Helen Reed, une romancière réputée, affectée par la mort récente de son mari. Entre les deux s’engagent des discussions antagonistes sur les mérites respectifs de la science et de la littérature pour appréhender la conscience humaine, mais se noue bientôt aussi une torride liaison…
Variant les procédés littéraires, le roman fait alterner trois points de vue distincts: le journal intime d’Helen, une voix sensible et introspective; le déballage vaniteux et lubrique de Ralph dans son dictaphone – histoire d’enregistrer pour ses recherches le flux spontané de ses pensées; et une narration "objective" et omnisciente.
La formule n’accouche pourtant pas de visions très divergentes entre les deux amants. C’est d’ailleurs que vient la surprise, de quelques personnages qui se révéleront autres que ce qu’ils paraissent, illustrant ainsi le postulat du livre: "C’est toujours une erreur de se figurer qu’on sait ce qui se passe dans la tête de quelqu’un d’autre."
Il y a aussi, dans ce livre touffu et tricoté très intelligemment (malgré des péripéties qui se bousculent de manière un peu artificielle en fin de parcours), d’intéressantes réflexions sur la littérature, et de savoureux pastiches d’auteurs célèbres, qui valent à eux seuls la lecture…
Peut-être que la science parviendra un jour à percer le mystère de la conscience; mais pour la satire des défauts humains, avouons que la littérature n’a toujours pas sa pareille. Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux, Rivages, 2002, 401 p.