Le Noroît / Normand de Bellefeuille : À tout vent
Le Noroît, qui fêtait récemment son trentième anniversaire, lançait à cette occasion Lancers légers, une réflexion poétique de Normand de Bellefeuille.
Le Noroît, qui fêtait récemment son trentième anniversaire, lançait à cette occasion Lancers légers, une réflexion poétique de Normand de Bellefeuille.
En 1971, Célyne Fortin et René Bonenfant fondaient les Éditions du Noroît. Trente ans et cinq cents titres plus tard, la maison est sans conteste l’une des principales enseignes de la poésie québécoise. Dirigée depuis 2000 par Paul Bélanger, qui, pendant plusieurs années, a partagé ce rôle avec Hélène Dorion et Claude Prud’Homme, elle a fait de la rigueur et de la pertinence éditoriale sa marque de commerce.
"Nous tenons ce pari de donner voix au poème, ce fragile édifice de langage qui, par essence, interroge, doute, prend le risque de sa vulnérabilité et cherche à ouvrir de nouvelles avenues à la parole", peut-on lire sur le site du Noroît. Promesse maintes fois tenue par ceux qui ont publié tant d’auteurs d’importance, dont Denise Desautels, Pierre Ouellet et Jacques Brault, tout en jetant de nombreux ponts, par la coédition et la traduction, entre le Québec et l’Europe ou l’Amérique latine. "La poésie est un acte de résistance contre le prêt-à-penser, contre le bruit d’une société de distractions soucieuse d’uniformiser et de quantifier, plutôt que de singulariser et de qualifier", soutiennent les gens du Noroît, toujours à l’écoute des voix distinctives.
Je me permets de faire un lien avec ce que Normand de Bellefeuille, dans un récent livre intitulé Lancers légers, appelle la "parole rescapée". Dans cet essai foisonnant, l’écrivain, éditeur et critique situe en effet la poésie à cent lieues des formules creuses et de la communication aseptisée de nos rapports sociaux. "Sur un point pourtant, je suis irréconciliable: le texte: déflagration dans la langue d’habitude – la reconnaissable, la valeur illustrative – la langue d’habitude, cette "figue", figure sèche parce que sans air."
Cette réflexion, qui est en fait une nouvelle mouture de textes existants – les deux parties principales avaient été publiées en 1989, dans les pages de la revue Études littéraires -, arrive à point nommé, à une période où les poètes essaient tant bien que mal de repenser la poésie contemporaine. Dans une série de propositions, Normand de Bellefeuille y démaille plusieurs idées reçues, pourfendant un certain lyrisme béat et remettant continuellement en cause la nécessité de la poésie, pour mieux conclure à l’importance de ses nécessaires – mais somme toute rares – manifestations valables. Il explore ensuite, sur le ton du penseur solitaire, l’intime expérience de l’écriture, sa large part d’imprévisibilité, malgré la propension de tout écrivain à dominer sa monture. Il étudie tout particulièrement la notion de répétition, condition première de la forme, stipulant que l’auteur dit toujours un peu la même chose, le style naissant de la répétition de certaines figures dans la manière de dire. Le style, dès lors, évoque ce que l’écrivain porte de plus intime et de plus personnel. "Il s’agit peut-être moins d’approfondir que de retrouver un premier état", écrit-il.
Plus loin, Stéphane Mallarmé est présenté, sinon comme un maître spirituel, à tout le moins comme un immense poète pour lequel Normand de Bellefeuille entretient une admiration sans bornes. Ce texte très libre, suite d’intuitions devant l’oeuvre de Mallarmé autant que de bribes de théorisation, est ponctué de 12 "leçons mallarméennes", dont la première va comme suit: "L’écriture n’est-elle pas l’un des seuls lieux, qui sait peut-être le seul lieu qu’il nous reste où il soit encore possible d’être radical, intransigeant même, sans pour autant nous empêtrer dans la problématique du pouvoir, non plus que céder aux pièges de l’intolérance."
Passionnant regard sur le poème, alors même que le Noroît célèbre trois décennies d’avancées poétiques.
Lancers légers, de Normand de Bellefeuille
Éd. du Noroît, 2001, 73 pages