Les 200 ans de Victor Hugo : Notre père qui êtes aux cieux!
Victor Hugo est-il dépassé? Que représente-t-il aujourd’hui aux yeux des étudiants québécois? Au milieu de la déferlante de bons sentiments à l’égard du "géant des lettres", il est salutaire de poser quelques questions. Des enseignants qui côtoient chaque jour les classiques du monde des lettres nous répondent.
Victor Hugo aurait eu cette semaine (le 27 février) 200 ans. Si vous l’ignoriez, une promenade dans les Maisons de la presse vous remettra les pieds sur terre. Tous les grands magazines français publient ces jours-ci hors-séries et dossiers spéciaux sur Victor Hugo, et une série de manifestations culturelles s’étendra sur toute l’année dans l’Hexagone pour le célébrer.
De plus, les articles pleuvent, ici comme ailleurs, sur celui qu’on appelle le géant des lettres. Côté livres, on ne compte plus les rééditions de ses oeuvres, les essais et les biographies: de Jean-François Kahn (Victor Hugo, un révolutionnaire, Fayard) à Max Gallo (Victor Hugo, en deux tomes, Perrin) et Jean-Marc Hovasse (aussi Victor Hugo, en deux tomes, Fayard), en passant par Victor-Lévy Beaulieu qui fait paraître une nouvelle édition de Pour saluer Victor Hugo (Trois-Pistoles), chacun a son mot à dire sur le poète et romancier qui fut aussi homme politique (le Sénat français lui a même rendu hommage le 20 février dernier).
Adulé dans la francophonie en général, et en France en particulier (surtout à la veille d’élections présidentielles, moment favorable à l’exaltation des passions littéraires, fleurons de la culture franco-française), Hugo est le sujet de publications savantes, qui rivalisent avec l’industrie du showbiz pour entretenir la flamme. En effet: les récits hugoliens ne sont-ils pas universels? La lutte des classes, la quête de justice sociale, la conquête de la liberté ne sont-elles pas des questions communes à tous?
Évidemment. Mais d’autres avaient défendu ces questions avant lui. En fait, ce n’est pas le style d’Hugo qui est devenu un classique mais lui-même, son histoire, son personnage (et bon, quelques romans, avouons-le!). Car ce qui frappe à lire le grand nombre de dithyrambes au sujet d’Hugo, c’est l’usage immodéré de superlatifs pour décrire l’homme et sa production. Le summum de l’hyperbole est atteint dans ces métaphores, mises en lumière par le journaliste Didier Sénécal, dans l’édition de février du magazine Lire (Hugo a-t-il trop écrit?): Hugo est "l’océan", "l’Himalaya", "l’univers", et puis quoi encore?
Bien sûr, nul ne peut le nier, il écrivait beaucoup: rares sont les créateurs qui publient à 26 ans leur oeuvre complète en 10 volumes! Mais si l’auteur des Misérables connaît encore à l’heure actuelle tant de succès, c’est aussi qu’il a vécu dans un siècle où la presse et la critique littéraire étaient en plein essor. Le synchronisme était parfait, et Hugo doit au journalisme français du 19e, et à l’influence de l’opinion publique nouvellement relayée par la presse, sa gloire et son succès. Paul Lafargue (1842-1911), rare voix discordante dans le concert de louanges à l’égard du père de la République (oui, il y a aussi eu l’allégorie "paternelle" et toutes ses déclinaisons), écrit dans La Légende de Victor Hugo (rédigé en 1885, alors qu’on pleurait la mort du héros, le livre vient d’être réédité par Mille et une nuits) que le million et demi de spectateurs aux funérailles du grand homme ne connaissaient pas grand-chose à son oeuvre. Cela fait réfléchir…
Rencontre du troisième type
L’on peut aussi se demander si Victor Hugo est toujours aussi pertinent en 2002, et notamment au Québec. Par exemple, en enseignant ses livres ou ceux d’autres classiques gaulois à de jeunes néo-Québécois, ne les prive-t-on pas d’une autre histoire: celle de leur pays d’accueil? Comme le dit notre collègue Pierre Monette, également professeur au Cégep du Vieux Montréal, les étudiants québécois d’origine chilienne ou portugaise, nés au Québec, ne comprennent pas pourquoi l’on enseigne Shakespeare ou Hugo et si peu les classiques d’ici. "Pour un étudiant québécois d’origine étrangère, la littérature française est complètement parachutée: ils nous demandent pourquoi on la leur enseigne, et disent préférer connaître celle du Québec. Je crois qu’ils ont raison: il faudrait l’enseigner d’abord, non pas parce qu’elle est meilleure, mais tout logiquement parce qu’elle est la nôtre!"
Jean-Philippe Fortin, 32 ans, est professeur au même collège depuis six ans. "Si l’on évoque ce sujet des origines, dit-il, je crois que toutes les littératures appartiennent à tous. L’enfant né au Québec de parents chinois a autant le droit de lire Victor Hugo qu’un petit Français."
Mais faire lire des classiques québécois, comme Savard, Fréchette ("notre" Victor Hugo) ou Nelligan, ne serait-il pas plus efficace? Les étudiants ne se sentiraient-ils pas plus proches de ces auteurs en les étudiant d’abord, pour ensuite aller à la rencontre des classiques d’ailleurs? Fortin est cruellement réaliste… "Selon moi, observe le jeune prof, ils s’ennuient autant à lire Hugo que Gabrielle Roy! Ce n’est pas parce que l’action se déroule à Montréal que la lecture leur paraîtra plus intéressante."
Pour Denis Saint-Jacques de l’Université Laval, spécialiste de la littérature de grande consommation au Québec et de l’histoire littéraire, il n’y a pas de "bonne" réponse à cela. "Si un professeur prend le parti d’enseigner les classiques québécois d’abord, ce sera pour des raisons idéologiques, non objectives. D’ailleurs, cela fait les meilleurs professeurs, ceux qui ont la passion, qui s’enflamment et s’enthousiasment. Quelle que soit leur option, s’ils enseignent avec conviction, cela donnera de bons résultats."
Louis Robitaille, prof au Cégep de Saint-Jérôme depuis 1973, observe le contenu du corpus français et en tire une conclusion pleine de bon sens: "Il est 10 fois plus gros que le corpus québécois, on ne peut rien y faire."
L’écrivain public
Tous s’accordent pour dire que la prose de Victor Hugo n’est pas facile à lire: les étudiants ne connaissent plus cette langue, la trouvent compliquée. "Il faut l’avouer, les étudiants sont rebutés par le caractère descriptif de l’écriture de Victor Hugo, explique Fortin. Ils trouvent que c’est long…" Pour Saint-Jacques, certains romans d’Hugo sont toutefois encore lisibles. "Notamment Les Misérables, précise-t-il, et Quatrevingt-treize. Quant à Notre-Dame de Paris, je le trouve lourd, difficile à lire, car Hugo y pratique largement l’art de la digression."
Selon Fortin, c’est une question de pédagogie. "L’objet "littérature" est encore mis sur un piédestal, dit-il. Et je crois que c’est là-dessus qu’il faut travailler." Mais pour Louis Robitaille, Hugo mérite tout à fait sa réputation. "C’est bien normal de souligner l’anniversaire d’un tel "monument", au bon sens du terme. Hugo est incontestablement l’un des plus grands poètes français. Bien sûr, il est parfois grandiloquent, mais quand je relis certains de ses poèmes, j’en suis littéralement ébahi! Un jour, dans un cours de poésie, j’ai lu à haute voix son Booz endormi devant la classe, avant de l’expliquer. Je vous jure, j’ai eu du mal à parvenir à la fin, j’étais sincèrement ému. Je l’avais minutieusement préparé et j’étais à même d’en apprécier toutes les subtilités. Alors, de le réciter ainsi, j’ai été envahi par sa puissance (c’est le mot)… Un des beaux souvenirs de ma carrière de prof: j’ose espérer que j’ai réussi à transmettre une parcelle de mon émotion à mes élèves…!"
Car en effet, selon Denis Saint-Jacques, Hugo s’adresse à tous. "C’est un personnage qui a toujours voulu garder une position d’écrivain sérieux mais "grand public". Je le compare, toutes proportions gardées, à Victor-Lévy Beaulieu chez nous, qui est un réel écrivain mais qui s’adresse à tout le monde comme il l’a prouvé dans sa production romanesque et télévisuelle. Mais au Québec, et même en France, l’image de Victor Hugo s’éloigne de plus en plus de nous; d’abord parce que plus personne n’écrit comme lui, et que, même à la fin du 19e siècle, les poètes étaient déjà en rupture avec lui."
Louis Robitaille est moins sceptique. "Hugo est l’auteur de deux romans qu’on adapte sans cesse et de toutes les façons: Notre-Dame de Paris et Les Misérables. C’est bon signe, non?"
Sites à consulter:
Victor Hugo 2002
(portail du bicentenaire du Ministère de la culture français)
http://www.victorhugo.culture.fr
http://www.poetes.com/hugo/