Noëlle Châtelet : La Tête en bas

Elle est l’auteure de La Dame en bleu, de La Femme coquelicot, de La Petite aux tournesols, des romans magnifiques, de touchantes histoires d’enfance, d’amour, de vieillesse épanouie. De prime abord, le sujet de son dernier roman semble détonner à côté de ces fictions qui nous émeuvent sans jamais nous heurter. Pourtant, il n’est pas étonnant que cette femme qui a fait du corps le sujet de ses essais (Le Corps à corps culinaire; Trompe-l’oeil, voyage au pays de la chirurgie esthétique, réédité sous le titre Corps sur mesure) ait eu envie d’explorer par le biais de la fiction ce qui est peut-être l’un des derniers tabous: l’hermaphrodisme, et par là donner à réfléchir sur la question, si sensible, de l’identité et de l’appartenance sexuelle.

"En souvenir de celui qui m’a donné un peu de son histoire, qui pourrait être celle-ci", ainsi qu’elle l’écrit en exergue, Noëlle Châtelet a donc imaginé une histoire qui a les accents d’un témoignage. Un récit écrit parfois à la troisième personne, parfois à la première personne du féminin, puis du masculin, un jeu narratif complexe, subtil, qui ajoute au trouble que l’on ressent face à ce personnage né à la fois femme et homme.

Quand le roman s’ouvre, c’est Paul qui raconte. Il a 40 ans, il fait son choix. Il vient de subir l’ablation des seins, et attend son tour au comptoir d’un commerce comme on attend, anxieux, un verdict. Puis il entend ces mots qui s’adressent bel et bien à lui: "Et pour monsieur, ce sera?" Alors il sait qu’il a gagné, que son combat est terminé. Le verdict est tombé, clair et net, en sa faveur. "Aucune hésitation dans la voix. Pas de perplexité dans les yeux qui s’arrêtent sur Paul. La question est carrée, résolue, sans le vacillement habituel, cette gêne qui fait ondoyer le regard des vendeuses, parfois jusqu’à l’affolement. (…) "Et pour monsieur, ce sera?" Mais rien d’autre, mademoiselle, que cette phrase machinale!" Un bonheur gagné de haute lutte, au prix d’années de peine, de honte, de confusion.

Pour décrire ce parcours exceptionnel, Noëlle Châtelet a mis toute sa sensibilité et son talent d’écrivain. D’un sujet qui aurait pu si facilement sombrer dans le fait divers scabreux, elle a fait une histoire poignante, troublante et belle, de quête et de conquête de soi, de compassion et de tolérance. Éd. Seuil, 2002, 151 p.