10 ans de littérature : Vaugeois, Pellerin, Morency. Des écrits qui restent?
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10 ans de littérature : Vaugeois, Pellerin, Morency. Des écrits qui restent?

Trois artisans du livre se prêtent au jeu du rétroviseur, un oeil sur leurs propos antérieurs, l’autre sur le présent.

On sait que médias et littérature peuvent former un ménage difficile. La présence des écrivains et des essayistes dans les journaux n’a pourtant pas que de mauvais côtés, contribuant parfois à éclairer une autre partie de leur travail, à moins d’alimenter des débats plus ponctuels.

En 10 ans, un certain nombre de professionnels de l’écriture et de l’édition ont visité ces pages au gré des salons et des publications. Tâche difficile tout compte fait, qui consiste pour eux à représenter une portion de la littérature en se basant sur leur expérience singulière. Voici, avec pour prétexte trois entretiens accordés à Voir Québec en 1992, un bref retour prospectif.

Denis Vaugeois: repenser la diffusion
Ministre des Affaires culturelles sous René Lévesque et fondateur en 1988, à Sillery, des éditions Septentrion, M. Vaugeois se spécialise dans la vulgarisation de l’histoire.

Dans l’entretien accordé au journal en avril 1992 (volume 1, numéro 7), vous paraissiez posséder une véritable foi dans le rôle de l’édition au Québec. Êtes-vous toujours aussi optimiste?
"Je suis encore en vie! Chez Septentrion, avec plus de 250 titres et environ 400 auteurs, on peut dire qu’on a bien développé notre créneau. Par contre, la santé du livre, ça s’évalue d’après tous les maillons de la chaîne, ce qui mérite quelques remarques. Du côté de la création, les éditeurs en ont plus qu’ils ne peuvent en souhaiter. Quant au public, il maintient sa demande. Mais tout ça est compliqué par le fait que ça va moins bien du côté des librairies et des bibliothèques, des secteurs drôlement malmenés depuis 10 ans. La librairie a vu arriver un concurrent tout à fait déloyal avec les grandes surfaces, alors que la bibliothèque a vu décroître ses budgets d’acquisition sans arrêt. Lucien Bouchard, parce qu’il ne voulait pas nous donner le prix unique, a donné un prix de consolation avec 60 millions sur trois ans pour l’acquisition publique de livres, un montant aujourd’hui épuisé. C’est donc autour des librairies et des bibliothèques que beaucoup de nos efforts comme éditeur portent actuellement."

Qu’en est-il actuellement du domaine de la vulgarisation de l’histoire?
"Ça se maintient. Les nouveaux outils informatiques donnent cependant une souplesse accrue, mais on tend à trouver plus d’erreurs qu’avant dans les ouvrages, ce qui suggère que la formation générale des utilisateurs de ces instruments a diminué."

Des nouvelles de Gilles Pellerin
Professeur, nouvelliste, polémiste, le fondateur et directeur des éditions L’instant même demeure un des intervenants les plus actifs du milieu littéraire à Québec.

En septembre 1992 (volume 1, numéro 27), vous en étiez à votre quatrième recueil de nouvelles. Depuis, vous avez investi une grande énergie du côté de l’essai. Est-ce que ce genre vous semble désormais le vecteur par excellence pour affronter les situations qui vous préoccupent en tant qu’écrivain?
"Mon plus grand souhait est de m’adonner de nouveau à la nouvelle, mais de façon suffisamment soutenue pour qu’il en résulte non pas une série de textes disparates, mais bien un ensemble – ce qui ne devrait pas tarder. Cela dit, je n’ai pratiqué l’essai ni par dépit ni par sentiment de sa supériorité énonciatrice. Il se trouvait que mes préoccupations exigeaient une expression argumentative, factuelle: j’éprouvais le besoin de superposer les voix de l’éditeur et du citoyen à celle de l’écrivain. C’est toutefois lui qui tenait la plume, certaines préoccupations de style me semblent en témoigner. Chemin faisant j’ai découvert pour mon compte un genre fascinant, dans lequel je me serai sans doute permis plus de lyrisme que ce que j’avais inséré dans mes textes de fiction."

Votre activité en tant qu’éditeur de nouvelles n’a d’autre part pas ralenti, bien que vous ayez accordé un espace nouveau au roman. Croyez-vous que la réceptivité au phénomène de la nouvelle s’est agrandie au Québec?
"Je ne devrais pas répondre à cette question ou du moins devrais-je mentir et prétendre que tout-va-bien-madame-la-marquise. La vérité est que la nouvelle a attiré des praticiens (le nombre de manuscrits que nous recevons est effarant!), mais que le nombre de lecteurs n’a pas bougé. Notez que notre catalogue a atteint la centaine de recueils, mais que nous devons limiter le nombre de parutions annuelles, faute de quoi les recueils ne trouveront pas leur public. Le commentaire critique sur le genre n’a pas davantage évolué, les phénomènes de structure, de mouvement, d’écriture, de syntaxe particulière (la syncope, la modulation du point de vue inscrite dans une phrase unique, etc.) continuant de le céder au résumé. Or un recueil de nouvelles ne se résume pas!"

Migrations de Pierre Morency
Avant tout poète, Pierre Morency remportait l’an dernier le prestigieux prix Athanase-David, occasion d’ailleurs d’un autre entretien mené par Nicolas Houle.

En avril 1992 (volume 1, numéro 6) comme en novembre 2000 (volume 9, numéro 46), les entretiens que vous accordiez à Voir témoignaient de la préséance du regard dans votre activité d’écrivain. Vers quelles réalités votre oeil américain se porte-t-il actuellement?
"Quand on regarde bien les choses, il arrive qu’elles se mettent à parler. Ainsi, ces derniers temps, un arbre m’a dit (entre autres choses): "Quand le soleil est cuisant, rafraîchis-toi sous ma frondaison, mais n’oublie pas de rafraîchir ton regard et ta vision. Le regard, cette extraordinaire ouverture de l’être, cette prise de lumière sur la réalité, le regard est vraie richesse des vivants. Le monde ne se révèle bien qu’à ceux qui savent rafraîchir leurs sens, qu’à ceux qui ont appris à renaître toujours neufs à chaque moment de la vie éveillée.""

Qu’en est-il de votre projet d’étendre la trilogie dans un quatrième tome qui en serait comme le quatrième élément, le feu?
"Ce projet est à la veille de devenir autre chose qu’un projet."

Québec vous apparaît-il toujours comme un lieu de prédilection en tant qu’écrivain?
"Je vis à Québec, mais j’écris en moi-même. "JE est un autre". Celui qui écrit n’est pas tout à fait le même que celui qui réside. Quand j’écris, je suis partout où me portent mon imagination et ma mémoire. En fait, quand je suis au travail, je voyage tout le temps. Et je suis presque toujours au travail…"