Soudain le Minotaure / J’ai de mauvaises nouvelles pour vous : Premières armes
L’une, Marie Hélène Poitras, publie un premier roman, Soudain le Minotaure; l’autre, Suzanne Myre, offre un recueil intitulé J’ai de mauvaises nouvelles pour vous. Portrait de deux voix prometteuses, mais qui se cherchent encore.
Le premier roman de Marie Hélène Poitras, 27 ans, commence bien: "La seule fille que je vois depuis six mois, c’est l’infirmière. Une géante, deux fois grande comme moi. Elle vérifie quotidiennement mes signes vitaux. Je me mettrais bien sa culotte sur la tête." En quelques lignes, vous comprenez que quelque chose ne tourne pas rond. Le personnage est campé, et la suite confirme le cauchemar. Un homme nommé Mino Torrès (saisissez le jeu de mots avec le titre?) a une maladie: il viole des femmes et ne ressent aucune culpabilité. Il est originaire du Guatemala, où il violait aussi, et continue de faire des ravages dans son pays d’accueil. Pour lui, tout cela est normal, vu l’éducation qu’il n’a pas eue; et vu le triste modèle qui inspira sa jeunesse: son oncle, admiratif de Gabriel García Márquez, avec lequel il découvre Cent ans de solitude, mais qui prend les femmes pour des bêtes.
C’est aussi le cas du narrateur, homme marié mais plein de haine, que les "voix féminines" exaspèrent, et qui ne tolère pas qu’une fille lui résiste. "J’étais venu à Montréal pour violer Ariane. Elle était cette Blanche lettrée qui ne se laisserait pas faire." C’est elle qui met fin à la série de crimes, car elle dénoncera l’agresseur, et c’est de sa prison que Torrès confie ses rêves, ses fantasmes.
La seconde partie du roman est racontée par cette Ariane, qui a combattu son agresseur, mais qui garde de ce choc de sérieuses blessures. Originaire de Venise-en-Québec, c’est là qu’elle retourne panser ses plaies, retrouvant sa mère et son frère qui la protègent du monde extérieur et de ses propres angoisses. "La peur de n’être plus capable de porter des colliers, la panique lorsque ceux qui vous aiment vous enserrent trop longuement. La peur des garde-robes. La peur de rentrer seule à pied. La peur des ruelles et des rangées d’automobiles. L’accélération des pulsations cardiaques au moins trois fois par jour parce qu’un mur a craqué." En quête de liberté, de son estime de soi, la jeune femme part en voyage, affronter ses monstres.
Ce roman qui a si bien commencé finit pourtant mal. Si l’on suit le fil que nous tend Marie Hélène Poitras tout au long de la première partie, si l’on sympathise avec le personnage d’Ariane en second lieu, on perd tout contact avec la narration, que l’auteure interrompt par le passage d’une voix à l’autre, sans jamais la reprendre. Peut-être aurait-il fallu une troisième partie? Une confrontation entre les deux personnages? Peut-être pas. Mais les pistes proposées n’aboutissent pas, et laissent la lectrice en plan.
Le style est toutefois prometteur. Bien que l’écriture soit bancale à certains moments, rendant moins crédibles les situations ("Désormais, j’étais un agresseur de calibre intermédiaire et je voulais un peu plus de défi"???), elle révèle une vraie sensibilité, de belles images ("L’Allemagne était verte, verte et verte, tantôt saignée à gris par le Rhin, tantôt pommelée de petites maisons rousses, surveillée de haut par de vieux châteaux"). Toutefois, cela ne fait pas oublier le problème de structure qui gêne malheureusement la lecture.
Bonnes et mauvaises nouvelles
Moins difficile de publier des nouvelles, croit-on. Alignant les récits, on peut s’attendre à ce que l’un ou l’autre ressorte du lot, mais cela ne rachète pas les textes plus faibles.
Comme dans ce recueil, J’ai de mauvaises nouvelles pour vous, écrit par Suzanne Myre, auteure née à Montréal en 1961. Le jury ne s’est pas trompé en lui attribuant cet hiver le prix littéraire catégorie "Nouvelles" de la SRC (pour E.T. Phone Home). Suzanne Myre a du talent pour le genre bref, en connaît les exigences, l’importance de la structure narrative, de la chute. Mais les nouvelles de son recueil ne sont pas toutes réussies; certaines, correctement écrites, demeurent trop anecdotiques, sans véritable contenu (Coup de langue, Bruce, Oh Bruce!). Les deux meilleurs textes sont le premier et le dernier, les plus longs du recueil. Dans La Réception, Myre raconte la soirée désastreuse d’un mari et de sa femme qui n’ont visiblement plus rien à faire ensemble. Il la somme d’assister au moins une fois à une réception où seront présents ses collègues qui se plaignent de n’avoir jamais vu sa femme. Elle refuse, mais, à force de se faire prier, cède au souhait de son mari. Retournement de situation: "- Tu ne vas pas faire la folle ce soir, non? (…) – Je le savais, tu as peur que je te fasse honte. Tu me harcèles depuis un an pour que j’aille à tes réceptions mondaines et maintenant que je dis oui, tu le regrettes." L’auteure parvient tout au long de la nouvelle à installer un rythme, une progression vers l’épisode final, inévitable. Le ton est insolent, l’écriture, simple et sans recherche d’effets, mais efficace.
Dans le dernier texte, Sept jours, six nuits, c’est la forme plus que le contenu qui intéresse: encore une fois, Myre sait donner un rythme à la narration, et la rendre convaincante. L’histoire se déroule sur les sept jours et six nuits que passe une jeune femme à la campagne, dans un chalet pourri où elle doit se refaire une santé, et surtout se mesurer à sa solitude. Mise à l’épreuve, la jeune femme tente de se faire réconforter dans les bras d’inconnus rencontrés çà et là. Elle essaie d’oublier un homme, Jean-François, qui reste présent chaque seconde, malgré les aventures qu’elle collectionne.
Suzanne Myre présente un recueil inégal, mais, comme Marie Hélène Poitras, possède un certain talent. Un bon travail sur l’écriture, parfois redondante ("le corps professoral est un des plus conformiste et conventionnel") et, à plusieurs reprises, défaillante ("les images explicites qui m’ont pénétrées auraient décoiffé mon chum, s’il avait vu sur l’écran de mon esprit", au secours!), libérerait une plume pleine de caractère, d’humour et d’audace.
Ce recueil de nouvelles est publié par une nouvelle maison d’édition, Marchand de feuilles, qui se spécialise dans les premières oeuvres québécoises. Une maison à surveiller, certes, mais qui se distinguera si la qualité linguistique et littéraire est au rendez-vous.
Soudain le Minotaure
de Marie Hélène Poitras
Éd. Triptyque, 2002, 175 p.
J’ai de mauvaises nouvelles pour vous
de Suzanne Myre
Éd. Marchand de feuilles, 2001, 173 p.