Victor Teboul : La Lente Découverte de l'étrangeté
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Victor Teboul : La Lente Découverte de l’étrangeté

Dans la très cosmopolite Alexandrie des années 50, un petit garçon grandit, étudie et joue au foot avec des jeunes Libanais, Indiens ou Maltais.

Dans la très cosmopolite Alexandrie des années 50, un petit garçon grandit, étudie et joue au foot avec des jeunes Libanais, Indiens ou Maltais. Lui-même est d’origine juive, fréquente l’école anglaise, parle grec avec sa mère, français avec son père et ne se soucie guère des traits culturels distinguant ses camarades de cour d’école. Et soudain il y a la guerre. Une guerre qui révèle des différences jusque-là imperceptibles entre les êtres. Ainsi débute La Lente Découverte de l’étrangeté, de Victor Teboul, un roman très proche de l’autobiographie.

Alors que l’Égypte de Nasser et Israël croisent le fer dans l’affaire du canal de Suez, la famille de Victor Teboul est expulsée parce que juive, donc pas tout à fait égyptienne. Commence alors un périple interminable en Méditerranée, avec d’incessants va-et-vient entre Naples, Tunis et Marseille, les émigrants étant tantôt refoulés aux douanes, faute de visas valides, tantôt rebutés par d’autres conflits. Ils séjournent enfin en France, puis, au terme de nouvelles pérégrinations, mettent le cap sur le Canada, terre d’accueil entre toutes, où chrétiens, juifs et musulmans semblent se côtoyer dans l’harmonie. Montréal deviendra leur port d’attache, et Victor Teboul choisira vite le Québec pour pays – l’auteur y vit depuis 1963 et a très tôt épousé la cause souverainiste.

Ici, le regard de l’enfant est recomposé à travers les souvenirs de l’adulte, et c’est dans un oeil naïf que la complexité du monde s’imprime peu à peu, ce monde souvent réduit à des schémas simplistes, qui ne tiennent pas compte des aspirations et des fragilités de l’individu. Le roman est ponctué de retours en arrière, qui nous font passer des discussions entre le narrateur et son père, dans les années 90, à leur arrivée, par exemple, en Tunisie, pays qui aurait pu devenir le leur à la fin des années 50. "Me voici donc Tunisien, alors que je n’ai jamais vu la Tunisie et que je n’en parle même pas la langue! Arabe ne connaissant pas ma culture, Tunisien ne connaissant pas mon pays! Qui suis-je? (…) Je suis un vrai apatride, moi… Je découvre lentement les multiple facettes de mon étrangeté."

Victor Teboul sensibilise le lecteur au drame de ces familles déracinées, à leurs espoirs d’Eldorado trop souvent déçus. On goûte sa manière de raconter en partant du détail, de l’anecdotique (un jeu d’enfant, un repas de famille), pour bientôt embrasser des réalités plus complexes.

À la découverte du monde s’ajoutent les questionnements intimes et l’éveil de la sexualité, ce qui fait beaucoup à développer, sur le plan thématique, en moins de deux cents pages; mais celui qui nous a déjà donné Mythe et images du Juif au Québec et René Lévesque et la communauté juive atteint son objectif premier, celui de montrer la fragilité de nos repères culturels et la difficulté de les réinventer au lendemain du chaos. Éd. des Intouchables, 2002, 177 p.

La Lente Découverte de l'étrangeté
La Lente Découverte de l’étrangeté
Victor Teboul