Faussaires : La vie est un roman
"L’art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité", disait Pablo Picasso. Où loge la vérité en art? Une contrefaçon qui suscite de vraies émotions est-elle une oeuvre inauthentique?
"L’art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité", disait Pablo Picasso. Où loge la vérité en art? Une contrefaçon qui suscite de vraies émotions est-elle une oeuvre inauthentique? Questions fascinantes posées par Faussaires (Faking), premier roman du biographe canadien James King, qui examine la vérité et le simulacre sous divers angles, dans l’art comme dans la vie, et se plaît à démontrer que les apparences sont trompeuses…
Cette "biofiction" est elle-même un "faux": une autobiographie fictive, amalgamant faits véridiques et fabulations, de Thomas Wainewright. Critique d’art, portraitiste, faussaire, et "presque certainement" meurtrier, ce personnage mythique de la Régence a inspiré notamment Charles Dickens et Oscar Wilde. Accusé de fabrication de faux, fortement soupçonné d’avoir empoisonné au moins trois personnes (son oncle, sa belle-mère et sa jeune belle-soeur), l’Anglais fut condamné à la déportation en Tasmanie – l’actuelle Australie -, où il boucla sa sordide existence en 1847.
S’apparentant à un pastiche, ne ménageant pas une froide ironie, Faussaires s’appuie sur une convention artificielle: le récit est transcrit par Catherine Blake, une femme douée de la faculté d’entendre les esprits, et à laquelle se manifestent les voix de Wainewright et de ses proches (en bas de page, la spirite intervient parfois gratuitement dans l’histoire).
Le livre prend donc la forme d’une mosaïque de versions divergentes, où bien malin qui peut démêler le faux du vrai. Tom Wainewright y retouche le portrait tracé par ceux qui ont écrit sur lui, offrant au lecteur SA vérité. Faussaire de talent, le vaniteux narrateur s’attribue ainsi plusieurs oeuvres de Gainsborough ou Rembrandt! Le plagiaire au discours apologétique se justifie, à peu de frais, en assurant que l’originalité en art n’existe pas, de toute façon, mais que l’influence de leurs prédécesseurs se traduit même dans les oeuvres des plus grands.
Du faussaire, on passe bientôt à l’empoisonneur, deux activités qui exigent un talent artistique devant rester caché! écrit cyniquement la calculatrice Eliza. La femme de Wainewright ne se contente pas de se donner un rôle de premier plan dans le complot tarabiscoté et plutôt invraisemblable qui visait à tuer sa pauvre demi-soeur pour profiter de l’argent de l’assurance-vie. Eliza finira sa vie en donnant plus de place aux femmes dans le monde de l’art, peignant des faux tableaux de la fameuse Artemisia…
Dans une prose élégante, rappelant le XIXe siècle, bien rendue par la traduction d’Hélène Rioux, le roman peint une société sans scrupules où les faussaires sont nombreux: contrefacteurs de tableaux, de lettres, de signatures bancaires, usurpateurs d’identité, simulateurs de sentiments, menteurs…
Un livre astucieux, non exempt de longueurs (le récit des machinations et des problèmes monétaires devient un peu fastidieux) mais souvent brillant, construit et fabriqué – à l’image de son sujet – avec intelligence, sinon émotion. Avec, on imagine, un malin plaisir, le biographe des Virginia Woolf, William Blake et compagnie s’y glisse dans la peau d’un personnage faisant le procès des biographies et contestant leur véracité…
L’auteur d’un essai "sur les rapports entre la vérité et la fabrication dans l’élaboration biographique" (Telling Lives or Telling Lies: Biography and Fiction) introduit le doute: si on ne regarde plus les tableaux anciens avec la même assurance, c’est avec un scepticisme d’autant plus fort qu’on lira désormais les bios de personnages décédés… XYZ Éditeur, 2001, 179 p.