Maxence Fermine : Opium
Roman minimaliste, Opium raconte une histoire double: la quête du thé et la guerre de l’opium, substances dont les commerces furent étroitement liés. MAXENCE FERMINE nous raconte comment il a construit ce récit épique.
Lorsqu’on découvre ses livres, on n’est pas surpris d’apprendre que Maxence Fermine a voyagé. Dans ses romans, il a évoqué le Japon (Neige), l’Afrique (L’Apiculteur) ; et dans Opium, c’est la Chine qui sert de décor mais aussi de matière à l’écrivain. "Je n’ai commencé à écrire, enfin, à publier, qu’à 30 ans, explique l’écrivain joint chez lui près de Chambéry, dans l’Est de la France. Je pense qu’il est bon, en tout cas pour moi ça l’a été, de vivre différentes expériences, de voir d’autres horizons, cela enrichit l’imaginaire… Dans mon premier métier, j’étais technicien en architecture; j’ai pu voyager (notamment en Afrique), mais aussi mettre à profit mon penchant pour l’art et l’esthétique."
Depuis la publication de Neige (Éd. Arléa, 1999), du Violon noir (Éd. Arléa, 1999), Maxence Fermine a un peu plus les moyens de vivre sa vie d’écrivain (L’Apiculteur a fait monter les enchères de plusieurs éditeurs, et assuré à l’auteur une certaine notoriété). Traduit en une dizaine de langues dont l’italien, l’allemand, l’espagnol, l’auteur de 34 ans, qui vit dans les montagnes savoyardes, s’occupe de ses filles, et profite à plein de sa liberté. Cela lui permet entre autres de fouiller les documents ("mais pas trop, juste ce qu’il faut pour ne pas dire de bêtises"), et de tomber par exemple sur le livre de Robert Fortune, un aventurier anglais du 19e siècle, dont le récit est à la source d’Opium, un roman sur le thé, malgré ce que laisse croire le titre. "C’est en fait un journal de bord, explique Fermine; Fortune y a relaté les techniques de maturation des feuilles de thé, la manière de le cultiver, de le recueillir. Les Anglais avaient déjà essayé d’en faire pousser (ça n’a pas marché, évidemment) et ne connaissaient que le thé noir; ils ont mis beaucoup de temps et d’énergie dans le commerce du thé. Mais c’est véritablement Robert Fortune qui a volé le secret aux Chinois." Fermine avoue faire une sorte de "caricature" de ce personnage qui a réellement existé. "Je lui rends hommage en quelque sorte,car mon héros suit ses traces."
Union sacrée
L’histoire de ce héros, Charles Stowe, débute avec sa famille, spécialiste du commerce du thé en Angleterre et dont le jeune héritier prendra les rênes. Mais Stowe ne s’intéresse pas qu’aux affaires: il désire apprendre les secrets de la fabrication de la féconde substance. Lorsque son père lui révèle qu’il existe du thé bleu, du thé vert et, surtout, du thé blanc (qui doit être coupé avec des ciseaux en or), le jeune Stowe voit se dessiner son avenir: il ira jusqu’en Chine apprendre les arcanes de cette mystérieuse culture. Mais ce ne sera pas simple: le jeune homme trouvera en Chine un territoire férocement protégé, hostile aux Européens, en raison d’un problème encore prégnant de nos jours: l’opium. "La guerre de l’opium était assez mal connue en France, raconte Fermine. Ce n’est pas un sujet que nous abordons souvent. En gros, cette guerre opposa au 19e siècle la Chine et l’Europe. La Chine interdisait aux bateaux anglais d’importer de l’opium, mais il se pratiquait un trafic permanent et, bien sûr, très lucratif: on exigeait des Chinois qu’ils achètent l’opium s’ils voulaient continuer leur commerce du thé avec l’Europe."
Cette association d’une trame politique à un récit plus poétique charmait Maxence Fermine. Mais c’est surtout le second qui domine le roman, car l’écrivain a choisi des "symboles" de notre culture. "L’opium et le thé ont une chose en commun: ils ont tous deux un aspect sacré. Les deux procurent du bonheur, du plaisir, et sont entourés de rituels. Cependant, si le thé est une drogue, disons, vertueuse, l’opium représente au contraire un grand danger: si l’on pouvait l’essayer une seule fois et ne pas en être dépendant, ce serait formidable, mais l’on sait très bien que cela est impossible." Impossible aussi de dévoiler pourquoi le "poison de l’opium est aussi celui de l’amour" ("surtout, ne le révélez pas!"), sans vendre la mèche de ce roman original.
On croise donc dans ce roman Pearle l’Irlandais, rompu aux règles chinoises concernant le commerce avec les Anglais; Wang, l’homme de main du maître du thé, Lu Chen; et bien sûr ce dernier, personnage énigmatique, que personne n’a jamais pu voir. "Stowe découvrit, au fond de la tente, un rideau de toile derrière lequel se profilait une silhouette. Près d’elle, une lanterne où s’agitait une flamme d’or. C’était étrange, comme de contempler une peinture en mouvement dans un musée imaginaire. Une ombre, une lueur. Le tableau de Lu Chen."
L’écriture de Maxence Fermine est imagée, et donne lieu à de beaux moments de lecture (rappelant le magnifique Soie, de Barrico), malgré l’emploi, il faut l’avouer, de quelques clichés ("les parfums qui enivrent", "une femme belle et mystérieuse"). Le roman se lit comme un conte, tous les éléments y sont: le merveilleux, le mystère, le rythme, le thème de la quête. "Comme mes trois premiers romans, confie Fermine, Opium est un roman initiatique: au fond, c’est sa capacité de mener sa quête à terme qui plaît tant au héros; le thé est un prétexte, mais au fond, il veut se prouver qu’il est capable de l’impossible. Toute sa vie est basée sur l’expression de sa passion, de sa quête."
Opium, de Maxence Fermine
Éd. Albin Michel, 2002, 180 p.