Je l'aimais : Un air de famille
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Je l’aimais : Un air de famille

Anna Gavalda, 31 ans, est devenue une vedette avec la parution de son premier livre: Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Ce recueil de nouvelles, publié en 1999, s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires.

Anna Gavalda

, 31 ans, est devenue une vedette avec la parution de son premier livre: Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Ce recueil de nouvelles, publié en 1999, s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires.

Attendue comme une star pour son premier roman, elle a la faveur de la presse littéraire française, parmi laquelle le critique Frédéric Beigbeder parce que, écrit-il, "elle se fiche de faire "littéraire"".

Après avoir exercé plusieurs métiers, dont celui de traduire des romans Harlequin, Anna Gavalda a été découverte par Le Dilettante, une petite maison d’édition. À la suite du succès de Je voudrais…, l’auteure a reçu des offres alléchantes pour publier chez des éditeurs prestigieux et elle a refusé: ils n’avaient qu’à se décider avant, a-t-elle déclaré à la presse.

Cette franchise fait du bien, et n’est pas particulièrement politiquement correcte.

Gavalda affiche la même fraîcheur dans le roman qu’elle publie aujourd’hui.

Chloé a deux petites filles, et son mari vient de la quitter pour une autre femme. Elle est bouleversée, anéantie. Pierre, son beau-père, l’emmène dans la maison de campagne familiale et la recueille pour qu’elle se repose et fasse le point, pour qu’elle absorbe le choc.

Son beau-père tente de la réconforter, de lui dire les mots qui consolent; il lui fait la cuisine, essaie de distraire les petites. Puis, une fois les enfants couchés, Chloé et Pierre se mettent à bavarder, et le ton monte, alors qu’elle déballe sa rancoeur, sa colère qu’il essaie maladroitement de tempérer. "Je l’ai laissé partir sans lui arracher les yeux, j’ai refermé la porte tout doucement et maintenant je suis là, je suis devant vous, devant mes gamines. J’assure. J’assure, vous comprenez? Vous comprenez ce mot-là?"

Après la confrontation, la jeune femme s’écroule. "Je pleurais dans son cou oubliant à quel point il devait être mal à l’aise, lui qui ne touchait jamais personne."

Et à elle, il s’ouvrira, sortira de sa coquille. Unis dans leur bulle de chagrin, Pierre et Chloé partagent une douleur, qu’elle ne soupçonnait pas. Il se met à raconter sa vie, et dévoile une passion cachée, un amour sacrifié à son sens du devoir.

Chloé découvre un autre homme, vulnérable, déchiré, qui tente de lui expliquer pourquoi son fils l’a quittée. Il se tisse entre les deux personnages un lien filial évident; mais parallèlement se déroule en silence une confrontation "homme/femme" incontournable, au cours de laquelle s’opposent deux visions de l’amour, de l’engagement, du couple, du désir.

Anna Gavalda réussit à rendre la colère sourde qui oppresse, les mille flashs qui ne cessent d’envahir la pensée alors que vous essayez de retrouver votre calme et d’oublier la peine. C’est la force de ce livre que d’avoir trouvé le ton juste, crédible, par le rythme de la phrase, le réalisme des dialogues.

Ce qui caractérise cette écriture vivante et fraîche, c’est la présence du quotidien dont les différents moments scandent le récit. Le chauffage de la maison encore toute froide au soir de leur arrivée, la promenade au Moulin du Diable, les jeux, la préparation de la table pour le repas, celle des plats, le coucher des petites, la vaisselle, le dernier verre. Gavalda fait respirer son récit par ces petits rituels qui permettent aux deux protagonistes de reprendre leur souffle, de méditer, de se recueillir.

Mais ce ne sera que pour mieux vider leur sac. "- Pourquoi tu ne m’écoutes pas? Je mordais dans mon bout de pain. – Parce que vous êtes un bulldozer, vous détruisez tout sur votre passage. (…) Vous avez été infoutu de serrer vos gamins dans vos bras, de leur dire une seule fois que vous les aimiez, mais à côté de ça, vous prendrez toujours leur défense. (…) Vous savez, je suis une âme simple et j’ai besoin de vous entendre dire: mon fils est un salaud et je te demande pardon. J’en ai besoin, vous comprenez?"

Deux générations s’affrontent, et se retrouvent; un homme et une femme s’ouvrent l’un à l’autre, laissant tomber les masques. Ce n’est déjà pas si mal.

Je l’aimais, d’Anna Gavalda
Éd. Le Dilettante, 2002, 217 p.