Jean Dufaux : Phylactère d'adoption
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Jean Dufaux : Phylactère d’adoption

Scénariste aussi prolifique qu’accompli, le Belge JEAN DUFAUX débarque au Québec pour la première fois, toujours entouré d’une pléthore de personnages tous plus fascinants les uns que les autres.

Lorsque le scénariste Jean Dufaux affirme ne plus fréquenter les festivals que deux ou trois fois par année mais que c’est là une "excellente occasion de rencontrer d’autres auteurs de bandes dessinées", on le croit. Et pour cause: depuis ses débuts dans les années 1980 (après le passage obligatoire chez Tintin), le scénariste a collaboré avec 28 dessinateurs différents pour un total de plus d’une trentaine de séries ou d’albums uniques. Un travail d’autant plus considérable et étonnant qu’il a fait se côtoyer les styles les plus divers (du policier au fantastique, en passant par les séries historiques et les biographies d’artistes comme Pasolini et Hammett) avec autant d’aisance que de rigueur.

Peu importe les titres, la grande constante chez Dufaux est le soin jaloux et la grande précision accordés à la construction du scénario (le découpage des scènes) ainsi qu’aux dialogues. Des détails d’importance qui ont fait dire à la critique que Dufaux possède une vision cinématographique de la bande dessinée. Rien de bien étonnant puisque avant d’aborder le domaine et avant même de commencer en tant que journaliste puis écrivain, Dufaux avait complété des études en cinéma. Selon lui, le passage se fit tout naturellement. "Un jour, j’ai rencontré un jeune homme qui voulait absolument faire de la bande dessinée. C’est en discutant avec lui puis en m’y mettant que j’ai découvert tout le travail que cela demandait: l’écriture, l’élaboration des dialogues et l’importance d’avoir de bons personnages, ou, en d’autres mots, de bons acteurs. Tout cela relève aussi du cinéma, qui m’a inspiré, mais j’avoue d’autre part que la littérature en a fait tout autant. Vous savez, des écrivains comme Balzac auraient sans aucun doute écrit pour le cinéma!"

Qu’il aborde la cavale d’un mystérieux duo de vampires décimant leurs semblables dans Rapaces, qu’il spécule sur les aventures et les intrigues pas toujours amoureuses du jeune Casanova dans Giacomo C. ou qu’il dévoile les enquêtes et les introspections d’une jeune femme dans Jessica Blandy, Jean Dufaux explore une palette tellement large de styles qu’il en devient inquiétant.

Comment alors se sentir à l’aise dans autant de registres sans manquer à une certaine intégrité artistique? "Ce ne sont pas les genres en particulier qui m’intéressent mais bien les questions qu’ils permettent de poser. Et ces questions sont en relation directe avec les types de personnages et les types de relations entre ceux-ci que je tente de développer… Que ce soient des policiers ou des vampires, ce seront toujours un peu les mêmes personnages, mais plantés dans des décors différents, restant toujours aux prises avec leur passé et évoluant, de façons bien différentes, au gré des relations qu’ils nouent."

Voilà une des raisons qui permet au scénariste d’enchaîner, année après année, les albums et les collaborations avec les dessinateurs. Cela fait-il de lui pour autant un bourreau de travail? "Mon pire ennemi n’est pas le surplus de travail mais bien l’ennui. Personne n’aime l’ennui. Mais si certaines personnes y sont plus sensibles, j’ai pour ma part besoin de cette excitation qui est liée au fait d’avoir plusieurs projets qui n’attendent qu’à être développés."

Si Dufaux a rencontré sa voie dans la bande dessinée en étudiant le cinéma, les prochaines années seront l’occasion de renverser la vapeur puisque quelques-unes de ses séries (comme Giacomo C. entre autres) se retrouveront à l’écran. Le projet le plus important sera sans doute l’adaptation des Rapaces, produite par le fils du réalisateur et producteur français Claude Berri. Ce sera donc, en quelque sorte, un juste retour des choses…