Tecia Werbowski : Amour anonyme
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Tecia Werbowski : Amour anonyme

"Toute femme amoureuse d’un homme marié, ou d’un homme qui est figé sur le plan affectif ou incapable de s’engager, pourrait écrire une histoire pareille, et devrait peut-être même l’écrire", dit en préface à son nouveau roman, Amour anonyme, l’écrivaine Tecia Werbowski

"Toute femme amoureuse d’un homme marié, ou d’un homme qui est figé sur le plan affectif ou incapable de s’engager, pourrait écrire une histoire pareille, et devrait peut-être même l’écrire", dit en préface à son nouveau roman, Amour anonyme, l’écrivaine Tecia Werbowski. Passons outre l’objection qu’il n’y aurait pas assez de place dans les librairies pour recevoir les fruits de cette drôle d’idée! Il faudrait encore, afin que ces histoires n’aient pas qu’un intérêt anecdotique, que leurs auteures s’appellent Annie Ernaux, ou Catherine Millet. Ou Tecia Werbowski. L’auteure d’origine polonaise admet d’entrée de jeu s’être largement inspirée de sa vie pour écrire ce quatrième roman bref: "L’histoire que j’ai écrite repose bien sûr sur ce que j’ai vécu au fil des ans, mais elle est embellie, transformée, mise au point pour que d’autres femmes puissent s’y retrouver, du moins en partie."

Roman d’atmosphère écrit en une langue simple d’où transpire l’authenticité des émotions, Amour anonyme n’est certainement pas l’occasion pour Werbowski de se livrer à quelque aveu larmoyant, et encore moins de régler des comptes. C’est l’amour sans lendemain qui est le thème principal de cet opuscule, et Werbowski le met en scène de diverses façons, de sorte que voilà une petite plaquette étonnamment riche d’histoires.

Tout commence avec la mort d’Henri, qui fut pendant un quart de siècle, quand ses obligations conjugales lui en laissaient le loisir, l’amant d’Olga. C’est Olga qui était à ses côtés quand l’homme, de 13 ans son aîné, s’est éteint dans une chambre d’hôpital, mais ce n’est pas elle, forcément, qui est aux premières loges lors des funérailles. "Qui est cette femme?" demande la veuve à sa fille à l’église. Personne ne le sait (sauf la veuve elle-même, sans doute, qui a passé 25 ans les yeux fermés, et qui n’a certainement pas l’intention, maintenant que tout est fini, de les rouvrir).

À l’aide de lettres, de souvenirs, et en ayant recours aux historiettes de divers couples de personnages, Werbowski raconte alors par petites touches superposées la traversée de cet interminable amour sans lendemain entre Olga et Henri. Les moments de bonheur étaient rares, on s’en doute, explosant comme des bouchons de champagne au milieu d’immenses plages de souffrance. Et chaque jour qui, pour la plupart des gens, peut potentiellement servir à une évolution personnelle se passait plus sûrement pour Olga en attentes, en espoirs et en déceptions. "Chaque fois que le téléphone sonnait, elle avait le réflexe pavlovien de se motiver comme un petit chien. Mais ça n’était pas sa voix, ça ne serait plus sa voix, quelque chose de presque incompréhensible pour elle." Comment faire le deuil d’un amour qui, à la face du monde, n’a jamais existé? En l’écrivant, peut-être…

Amour anonyme ne dit pas que l’"autre femme" en sera réduite à vieillir, seule, dans le souvenir d’un amour-passion qui la confinait à la non-existence. Mais ce n’est pas sûr, non plus, qu’elle réussira à se libérer du fantôme d’Henri pour vivre une nouvelle aventure. Ce que dit très bien ce roman de Werbowski, c’est qu’au chapitre des amours illicites, encore plus qu’ailleurs, on prend les choses une journée, une heure, une minute à la fois. Les Allusifs, 2002, 86 p. Traduit de l’anglais par Émile et Nicole Martel.