Assia Djebar : Les affranchies
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Assia Djebar : Les affranchies

ASSIA DJEBAR, grande intellectuelle maghrébine, publiait récemment chez Albin Michel La Femme sans sépulture, un roman qui participe à la lutte incessante pour une reconnaissance de la femme algérienne.

Avec une carrière littéraire de plus de 40 ans derrière elle, Assia Djebar est désormais connue du monde entier comme l’une des pionnières de la cause des femmes en Algérie. Étonnant qu’on la découvre à peine au Québec, où elle sera de passage au cours du Salon du livre. Un moment privilégié pour se familiariser avec l’oeuvre monumentale de la première grande romancière maghrébine aujourd’hui installée aux États-Unis, où elle enseigne la littérature française et francophone à l’Université de New York.

Djebar passera donc par la Vieille Capitale à l’occasion du lancement de son dernier bouquin, La Femme sans sépulture. Comme dans les 12 romans, les pièces de théâtre, les scénarios de films et les recueils de poèmes qu’elle a publiés précédemment (et qui ont été traduits en plus de 10 langues étrangères), le thème central de ce morceau de fiction demeure un combat à finir, celui de l’émancipation de la femme en Algérie. Dans le cas présent, l’auteure s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de Zoulika, une héroïne oubliée de la guerre d’Algérie, femme qu’elle présente comme modèle plus qu’éloquent de persévérance, ayant fait ses armes sur le plan tant politique que social au sein d’une société dévastée par le terrorisme et l’injustice. Une oeuvre que Djebar décrit elle-même comme un amalgame fait de fiction et d’autofiction. "Lorsque j’ai écrit mes premiers romans, j’étais dans la jeune vingtaine et les réalités que j’évoquais étaient trop éloignées de moi pour me les approprier directement. J’écrivais alors avec une distance certaine. Aujourd’hui, je traite des thèmes semblables en oscillant plus librement entre les faits et les personnes réels et ce qu’ils m’inspirent. Dans La Femme sans sépulture, par exemple, le personnage de Zoulika est historique, mais j’ai imaginé plus que je n’ai décrit l’intervention de ses pairs au coeur de son action." Ainsi l’impact réaliste demeure, mais il est infiltré par la subjectivité d’une prose qui s’étoffe au contact d’un lyrisme contenu, enivrant.

Langue et affections
Pour la romancière et professeure, la littérature est une histoire de lutte, mais non une réponse destructrice à la violence légendaire qui déchire toujours son pays natal. En effet, sa croisade s’exprime plutôt à travers l’emploi d’un français moderne et poétique, revendiqué par Djebar comme l’une des conditions essentielles à la libération culturelle du Maghreb, encore muselé par l’emploi obligatoire de la langue arabe, héritage de plusieurs générations de musulmans intégristes au pouvoir. "Ayant reçu mon éducation scolaire dans une institution francophone, j’ai étudié le grec et les langues latines, qui constituèrent dès lors une influence majeure dans mon évolution intellectuelle, raconte l’écrivaine. Malgré cela, mon affect a toujours été directement lié au monde arabe, à ses traditions, tant sociales que culturelles. Je sais aujourd’hui qu’on peut écrire dans une langue étrangère, l’intégrer à notre imaginaire sans pour autant rompre avec ses racines."

Celle qui demeure modeste quant aux réactions du peuple algérien à son oeuvre est pourtant passée maître dans l’art d’interroger des origines troublées, des destins investis par la révolte. Son génie, maintes fois remarqué par la critique et par des milliers de lecteurs fidèles, vient de la grâce qui opère lorsqu’elle traite d’une violence aberrante dans un style si efficace qu’il rend captivant le sujet le plus rébarbatif. Avis à ceux qui sont conscients de ne pas tout savoir sur l’épineuse question du féminisme dans le monde arabe.

La Femme sans sépulture
d’Assia Djebar

Albin Michel

219 pages, 2002

La Femme sans sépulture
La Femme sans sépulture
Assia Djebar