Geneviève Hétu : Fille d’aujourd’hui
La féministe GERMAINE GREER a-t-elle encore une quelconque pertinence pour les jeunes femmes d’aujourd’hui? Cette intellectuelle qui révéla bien des vocations dans les années 70 avec La Femme eunuque publie aujourd’hui une suite: La Femme entière. GENEVIÈVE HÉTU, jeune militante féministe, nous confie ses impressions de lecture.
Geneviève Hétu
a 24 ans. Particularité? Elle milite au sein du comité Jeunes de la Fédération des femmes du Québec depuis peu. Pour cette étudiante en sciences sociales, ce n’est pas Germaine Greer ("elle m’était inconnue", dit-elle) mais bien Susan Faludi qui fut son inspiration. "Backlash a été pour moi une révélation, explique Geneviève Hétu. Dans son essai, Susan Faludi a fait une analyse impressionnante du discours antiféministe." Et c’est ce qui a plu à la jeune femme, pour qui l’égalité des sexes est encore un idéal.
Curieuse de connaître les racines idéologiques de ses aînées, la jeune militante a eu envie de découvrir Germaine Greer. Cette célèbre féministe australienne (installée en Angleterre où elle enseigne) publie aujourd’hui La Femme entière, qui se veut une suite à La Femme eunuque, son grand succès publié en 1971. Dans ce nouvel ouvrage, Greer réitère sa colère: 30 après, écrit-elle, la société n’a pas changé, puisque les hommes continuent à faire subir aux femmes de plus en plus de violence, pendant que ces dernières assument les travaux les plus durs, les emplois les moins bien rémunérés, et ce, partout dans le monde. En quatre parties (le corps, la tête, l’amour et le pouvoir), Germaine Greer accuse la société d’imposer aux femmes des modes de vie qui ruinent leur existence. Qu’il s’agisse des nouvelles technologies de reproduction qui ne prennent pas en compte la vie émotive des femmes, ou des ravages de la chirurgie esthétique, Greer veut faire comprendre à ses lectrices que le féminisme n’a toujours pas gagné la guerre.
Bien qu’elle soit d’accord avec ce constat, Geneviève Hétu désapprouve Germaine Greer à bien des égards. "Notamment au sujet de la violence, dit la jeune femme. J’ai vraiment grimpé dans les rideaux quand Greer parle des "hormones" de la violence, cela me dépassait. Selon elle, il faudrait distinguer la violence féminine et masculine, et je ne suis vraiment pas d’accord avec ça. La violence est la même que ce soit celle des femmes ou des hommes. Elle a les mêmes conséquences."
Geneviève Hétu ne supporte pas non plus la complaisance de Germaine Greer envers les femmes. "Elle excuse beaucoup de comportements féminins, constate-t-elle. On dirait qu’à ses yeux les femmes sont parfaites, et que les hommes sont des monstres. Je regrette, mais ce n’est pas le monde dans lequel je vis."
Guerre et paix
Le féminisme de la seconde vague, c’est-à-dire celui des années 70, s’est largement nourri de la rhétorique de gauche qui fleurissait alors. Aujourd’hui, ces idées sur le bien et le mal, les victimes et les bourreaux, n’ont plus le même effet. Ainsi, bien que Geneviève Hétu soit d’accord avec la prémisse de Germaine Greer selon laquelle les femmes n’ont pas encore atteint l’égalité partout dans le monde, elle désapprouve radicalement sa rhétorique guerrière et révolutionnaire. "Le mot "révolution" ne marche plus avec notre époque, croit la jeune femme. Qu’elle dresse un constat, pour que les gens soient conscients, oui. Mais son livre n’amènera pas la révolution qu’elle souhaite! Greer utilise souvent le mot "colère", mais ce mot ne convient pas vraiment: les jeunes militantes dont je suis ont encore à se battre avec le stéréotype de la féministe enragée, alors ce genre d’ouvrage ne nous aidera pas beaucoup!"
Selon Geneviève Hétu, les jeunes féministes doivent revoir ce qui les unit, ce qui les motive, travail auquel elles se sont attelées au comité Jeunes dont elle fait partie. "Je crois qu’il faut qu’on se redemande ce que le féminisme représente pour nous, et en quoi il consiste aujourd’hui. On n’adhère plus aux idées des générations précédentes, mais pourtant, on veut que notre condition s’améliore encore. Comment faire alors pour continuer à militer? C’est ce qu’il faut se demander, notamment pour que les jeunes femmes aient envie de s’engager dans le mouvement, ou, du moins, qu’elles s’y intéressent."
Et selon Geneviève Hétu, la manière de Germaine Greer est complètement dépassée. "Cette façon de parler aux femmes est anti-stratégique. On va perdre tout le monde si on utilise encore des termes comme ceux des années 70."
Le problème de génération est criant à la lecture du livre de Greer. Dans son dernier chapitre, l’essayiste tombe à bras raccourcis sur le phénomène du "girl power", mouvement issu de la culture populaire (musicale, télévisuelle) qui consiste à redonner aux symboles féminins un pouvoir politique. Ses égéries les plus connues? La chanteuse Court Ney Love, les Spice Girls, etc. Selon Greer, il s’agit de la récupération pure et simple de la féminité convenue telle que vue par les hommes. "Je pense qu’elle fait erreur, dit Geneviève Hétu. C’est une façon pour certaines filles des jeunes générations de s’intéresser à la condition féminine: qui nous dit qu’elles n’iront pas plus loin ensuite? Germaine Greer défend une forme unique de féminisme: la sienne. Elle ne voit pas qu’aujourd’hui, il y a plusieurs manières d’être féministe."
La Femme entière
De Geneviève Hétub
Éd. Plon, 346 p.
Des nouvelles d’elles: les jeunes femmes du Québec
Le Conseil du statut de la femme publie ces jours-ci Des nouvelles d’elles: les jeunes femmes du Québec, un ouvrage, dirigé par Thérèse Mailloux et Monique des Rivières, qui trace un portrait détaillé des Québécoises âgées de 15 à 29 ans. Les huit chapitres abordent divers sujets tels que les études, le travail, les revenus, la santé, les aspirations, et le mode de vie des jeunes femmes, le tout documenté par de nombreux tableaux statistiques. On apprend dans cette recherche que si les filles ont un niveau de scolarisation très élevé, elles continuent d’être moins bien payées que les hommes quand elles arrivent sur le marché du travail. De plus, elles sont aussi les premières à s’arrêter pour s’occuper des enfants; leur échappent alors les possibilités de promotion, l’avancement professionnel, etc. On y apprend aussi qu’en 1996, c’est le boulot de secrétaire qui tenait le haut de la liste parmi les 10 principales professions chez les femmes de 25 à 29 ans, ce qui peut surprendre. Autre statistique: 30 % des jeunes femmes "se classent dans la catégorie élevée de l’indice de détresse"; de plus, 57 % des 15 à 29 ans souhaitent perdre du poids "pour des raisons esthétiques". En fait, les troubles alimentaires se retrouvent plus nombreux chez les femmes de 15 à 24 ans, "que toute autre tranche de la population". Et autre conclusion, celle-là plus positive: les jeunes femmes ne "veulent pas adhérer à un féminisme radical ni collectif", et "privilégient des rapports égalitaires". Pour consulter l’étude: www.csf.gouv.qc.ca