Monique Proulx : Vivre sa vie
Livres

Monique Proulx : Vivre sa vie

MONIQUE PROULX aime son métier, en parle avec intelligence et humilité. Nous lui avons posé quelques questions sur l’écriture à l’occasion de la sortie de son troisième roman: Le coeur est un muscle involontaire.

Conviviale, curieuse, Monique Proulx est le contraire de l’écrivaine repliée sur elle-même. Bien que personne solitaire à ses heures, l’écriture est un métier qu’elle aime partager régulièrement avec d’autres artistes; au cinéma, par exemple, où elle est scénariste, et où deux de ses romans (Homme invisible à la fenêtre, 1993, Le Sexe des étoiles, 1987) ont été portés à l’écran; à la télé et à la radio, également, médias pour lesquels elle a créé de nombreux textes.

Monique Proulx est également traduite (notamment par Matt Cohen, décédé récemment), et s’apprête à partir, dans quelques semaines, pour la Chine, avec une délégation d’écrivains canadiens anglophones et francophones. Si elle affectionne la nature, la campagne, la retraite nécessaire à la création, elle aime aussi parler de ses livres, dont ce troisième roman, Le coeur est un muscle involontaire, qu’elle lance ces jours-ci. Portant sur la littérature, sur la force de la création, le récit met en scène un fantôme, celui de Réjean Ducharme, écrivain à qui elle rend hommage.

N’étiez-vous pas intimidée d’approcher un écrivain aussi mythifié que Réjean Ducharme?
À partir du moment où j’ai décidé de mon sujet, je ne voyais même plus Ducharme. Je voulais surtout parler d’un écrivain, et comme personne (ou presque) ne le connaît, je me suis donné la liberté d’aller au bout de mon idée. Il faut aussi réaliser que la perception que j’ai de Réjean Ducharme, en tant que lectrice ou créatrice, n’est PAS l’homme lui-même. Je crois qu’on a bien le droit de partir de soi-même. Ma perception m’appartient. Ce n’est pas tant mon travail à moi que je redoutais (sa pertinence, etc.) d’ailleurs, que le regard des autres. Mais bon, tout ça ne se fait pas de manière cérébrale, c’est venu tout seul. Ensuite, on se laisser aller, on ne peut pas toujours se surveiller!

Pourquoi n’avez-vous pas choisi d’écrire un essai sur la littérature, ou sur Ducharme, plutôt qu’un roman?
Parce que je crois qu’écrire un essai est un métier. Et ce n’est pas le mien. Peut-être que ça viendra, qui sait? Mais j’aime le véhicule de la fiction; pour moi, cela permet de dire plus de choses de soi-même.

Pourquoi parler de littérature dans un roman?
Peut-être parce que je crois que les gens voient la littérature et les livres comme quelque chose d’extérieur à la vie, d’un peu barbant; moi, je pense que lire ou écrire est une manière de s’inscrire dans la vie. De plus, c’est à la portée de tout le monde, il n’ y a rien de plus simple à faire qu’ouvrir un livre. Aussi, c’est un laboratoire dans lequel on peut reprendre tout ce qui se passe autour de soi.

Voyez-vous toujours l’écriture de cette façon?
Oui, bien sûr, mais le tout se manifeste différemment de livre en livre. Par exemple, j’écris en ce moment quelque chose de tout à fait différent, un ouvrage sur Montréal que la maison Art global m’a commandé. Ce livre ne me centre pas sur moi; je dois faire de la recherche, j’ai l’oeil ouvert, c’est bien différent. Il y a quelque chose de ludique, je prends plaisir à dire ce que j’aime de Montréal, c’est un beau rôle que l’on me donne: quand on doit rendre grâce à quelque chose, on est dans le bonheur!

Vous venez de Québec, mais vous avez toujours adoré vivre ici. Pourquoi?
Parce que je crois que je continue à voir cette ville à travers les yeux d’une étrangère. Je la vois de plus en plus comme une ville pleine de richesses; pas dans le sens de la gentrification, bien sûr, mais dans celui d’une maturité: je trouve que les Montréalais vivent de plus en plus dans le respect les uns des autres. Le fait que l’on puisse voir dans une même rue des francophones, des Grecs, ou d’autres, et que le tout ne s’homogénéise pas mais reste en harmonie est réjouissant. C’est une ville qui vibre, qu n’est pas superficielle; de plus, elle regorge de créateurs, ce qui me plaît énormément.

Est-ce qu’on a le public, ici, pour tous ces créateurs?
Du moment que l’on a des créateurs, c’est le principal! Un bon créateur fait toujours son chemin. On est condamné à avoir peu de moyens financiers, mais peut-être que ce n’est pas l’argent la chose la plus importante. Oui d’accord, il faut réussir à vivre de son art et habituellement y greffer d’autres activités pour gagner sa vie… Mais je pense que cette situation nous garde peut-être plus ouverts sur le monde.

Mais ne trouvez-vous pas triste de travailler si fort si le public n’est pas là?
Dans le cas du théâtre, oui, c’est indéniable. Pour le livre, c’est différent. Même si on ne parle plus de moi, l’objet livre reste là. Dans le fond, la création existe d’abord pour soi, pour se faire le plaisir de donner, d’exprimer, pour se tenir à jour avec le monde. Si on commence à comptabiliser les retombées, bof…

Cela ne vous manque pas d’être lue ailleurs, d’avoir plus de lecteurs?
Oui, j’aimerais ça, et d’ailleurs je fais tout ce qu’il faut pour y arriver. Mais après, ça ne m’appartient plus. Il ne faut pas s’empoisonner la vie avec ça. Bien sûr, les retombées sont brèves. Mais ça nous donne une image plus réelle de la vraie vie. Que le succès d’un livre s’étire sur un an ou deux mois, l’objet demeure le même.

Le succès vous fait-il peur?
Non, pas du tout. À condition que mon livre se vende pour les bonnes raisons… Quand vous remportez un grand succès, il arrive que vous deveniez vous-même comme un objet parallèle à votre livre; il se crée un phénomène qui n’a plus de rapport avec ce que vous avez écrit. Les gros succès reposent souvent sur des malentendus. Et peut-être aussi que le livre n’est pas destiné à être un objet de consommation énorme. De toute manière, un bon livre trouve toujours son lecteur… et peut-être que les gens ne lisent pas tant que ça!

Le coeur est un muscle involontaire
Éd. du Boréal, 2002, 398 p.

Le coeur est un muscle involontaire
Le coeur est un muscle involontaire
Monique Proulx