Bernhard Schlink : Noeud et dénouement
Sans poser de jalon majeur dans l’oeuvre de BERNHARD SCHLINK, Le Noeud gordien s’y inscrit logiquement, en en respectant les constantes de prédilection, comme l’exploration des thèmes de la fatalité et du passé. Un polar un peu lourd, mais néanmoins intéressant.
"Ce que nous faisons ou ce qui nous arrive, nous ne pouvons pas vraiment l’expliquer, nous ne pouvons même pas le garder comme notre propre histoire. Tôt ou tard, cela devient de toute façon de la pré-histoire, alors autant que ce soit le plus tôt possible." Voilà qui ressemble à un constat d’impuissance, à l’une de ces variations sur le thème de la fatalité qui teinte tous les romans de Bernhard Schlink, policiers ou non. Car on retrouve partout dans l’oeuvre de cet auteur né en Allemagne en 1944 – dans Le Liseur, le roman qui a propulsé sa carrière, comme dans ses polars (Brouillard sur Mannheim, Un hiver à Mannheim) et ses nouvelles (Amours en fuite) -, les mêmes leitmotivs, puissants, obsédants, du passé dont on a hérité sans en vouloir, dont on ne peut se débarrasser, et que l’on voudrait oublier.
Paru dans sa version originale en 1988, Le Noeud gordien suit le parcours tortueux de Georg Polger, un ex-avocat qui a quitté Karlsruhe, en Allemagne, pour aller s’établir en Provence, où il pratique le métier de traducteur. L’agence qui l’emploie lui donne de moins en moins de travail, et quand son patron meurt accidentellement, Polger prend la direction de la boîte et accepte l’offre très lucrative d’un certain Bulnakov: traduire les plans d’un hélicoptère de combat européen révolutionnaire. Or une nuit, le traducteur surprend Françoise, son amante, en train de photographier les plans ultra-confidentiels, et comprend qu’il a été manipulé par les services secrets russes. Cependant, il s’est enfoncé trop profondément dans ce bourbier pour tenter d’en sortir. Autant profiter de la situation. Quand Françoise disparaît, il n’hésitera pas à aller jusqu’à New York pour tenter de la retrouver, à ses risques et périls.
Cinquième titre de Schlink à paraître en français, Le Noeud gordien est un étrange polar au rythme lent et à la construction un peu lourde, qui n’a malheureusement pas la force de Brouillard sur Mannheim (écrit en 1987 en collaboration avec Walter Pop) qui mettait en scène un ex-procureur nazi devenu détective privé, personnage atypique, fascinant, que l’on allait retrouver dans Un hiver à Mannheim (paru en 1994, traduit en 2001). Dans l’oeuvre de cet auteur considéré comme l’une des voix les plus fortes de la littérature allemande, Le Noeud gordien restera une pièce mineure, mais un polar qui vaut le détour, pour la qualité de sa prose, pour cette peinture en demi-teintes d’une Europe d’avant la chute du mur, pour les considérations philosophiques du narrateur-écrivain qui n’intervient qu’aux dernières pages du livre, dans un épilogue inattendu où tous les noeuds de cette complexe histoire d’espionnage sont enfin dénoués.
Le Noeud gordien
de Bernhard Schlink
traduit de l’allemand par Patrick Kermann
Éditions Gallimard, Série Noire
2002, 290 pages