Aude : Quelqu'un
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Aude : Quelqu’un

Dévoilé, exposé, fouillé comme jamais, dans ses jouissances comme dans ses souffrances, le corps semble parfois être la nouvelle frontière de la littérature contemporaine. Il prend tant de place dans cette société vouée aux apparences, où la dichotomie entre le corps et l’esprit n’est plus clairement tranchée par les réponses toutes faites de la religion.

Dévoilé, exposé, fouillé comme jamais, dans ses jouissances comme dans ses souffrances, le corps semble parfois être la nouvelle frontière de la littérature contemporaine. Il prend tant de place dans cette société vouée aux apparences, où la dichotomie entre le corps et l’esprit n’est plus clairement tranchée par les réponses toutes faites de la religion. Où loge l’identité, l’essence de l’être? Quels sont ses rapports avec le corps? se demande le nouveau roman d’Aude, Quelqu’un.

Vivotant aux soins palliatifs depuis un an et demi, Magali subit ce qui peut probablement arriver de pire à un être humain: paralysée et muette à cause d’une sclérose latérale amyotrophique, elle est littéralement emprisonnée dans son corps, capable de communiquer uniquement en clignant des yeux (ce qui rappelle le calvaire vécu par le journaliste français Jean-Dominique Bauby, qui avait réussi à dicter Le Scaphandre et le Papillon en battant de sa paupière gauche).

Elle devrait déjà être morte. Or, contre toute attente, la jeune artiste s’accroche. S’intéressant à la mourante chronique, une chirurgienne découvrira qu’il y a encore Quelqu’un dans cette carcasse immobilisée, quasi abandonnée par un corps médical impuissant à l’aider.

Depuis une attaque d’obésité à l’adolescence, Jeanne s’est elle-même réfugiée derrière une carapace d’où on ne peut l’atteindre. "Elle est mal dans sa peau (…). Cette mince mais infranchissable frontière qui marque la limite entre elle, au-dedans, et ce qui n’est pas elle, au-dehors. Cette enveloppe étanche, fermée sur le secret des êtres, que Jeanne ouvre encore, malgré ses désillusions, en espérant trouver où se cache la vie, la personne."

Entre la patiente enfermée dans son corps et le médecin mentalement claustrée, où la plus nécessiteuse des deux n’est pas nécessairement celle que l’on croit, patiemment un rapprochement s’opère, qui pourrait bien les libérer toutes deux de leur isolement.

L’auteure de L’Enfant migrateur a le chic des sujets forts, extrêmes (et presque sensationnaliste, ici), mais qu’elle traite avec une sobriété concise qui leur confère la force d’une fable. Quelqu’un entame une réflexion assez fascinante sur la relation entre le corps et l’individu, la terrible solitude de chacun dans sa propre peau, démontrant comment notre enveloppe corporelle agit trop souvent à la façon d’une armure nous empêchant d’atteindre vraiment les gens. Ici, comme dans la plupart des romans récents d’Aude, certains personnages devront vaincre leurs peurs, surmonter leurs blessures et leur vulnérabilité, pour se rapprocher de l’autre.

Avec son écriture précise et dépouillée, ses phrases mesurées qui vont à l’essentiel, le roman est d’abord magnifiquement maîtrisé. La condition effrayante de Magali, la relation entre les deux femmes, du premier regard déstabilisant aux problèmes de communication, tout est décrit avec minutie et une puissance émotive exempte de sentimentalisme.

J’ai malheureusement décroché un peu vers la fin, avec le brusque revirement de la vilaine mère de Magali, qui paraît plutôt expédié, comme pour forcer une conclusion aux accents légèrement fleur bleue. Comme si la main et les intentions de l’auteure devenaient ici trop manifestes.

Il faut dire que ce roman explorant comment les êtres sont ligotés par les blessures du passé, comment les souffrances de l’être affectent le corps, et vice versa, se veut un récit libérateur. Une belle histoire, quand même. Éd. XYZ, 2002, 144 p.

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