John Irving, La Quatrième Main : Perdre la main
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John Irving, La Quatrième Main : Perdre la main

Tous les grands écrivains ont le droit de se tromper. JOHN IRVING, même s’il dit conspuer les critiques littéraires (qui n’ont pas été très tendres pour ce dixième roman), devra bien réaliser qu’il n’a pas écrit un autre chef-d’oeuvre avec La Quatrième Main (The Fourth Hand).

Irving sait pourtant faire preuve d’originalité. Un journaliste, Patrick Wallingford, se retrouve un jour dans un cirque indien; en plein reportage pour la télé américaine, il devient lui-même le clou du spectacle. "Une patte jaillit; une griffe saisit son poignet gauche, il laissa tomber son micro. En moins de deux secondes, son bras gauche avait été happé jusqu’au coude dans la cage. Son épaule gauche était plaquée contre les barreaux; sa main gauche, avec cinq centimètres du poignet, avait disparu dans la gueule du lion."

Comme point de départ, Irving fait fort; un tel événement ne change-t-il pas votre vie? Depuis Le Monde selon Garp, l’écrivain a le don de transformer un fait divers en épopée.

Mais dans La Quatrième Main, il faut se rendre à l ‘évidence: l’histoire ne tient pas la route.

Il y a bien Otto et Doris Clausen, couple insolite qui fournira au journaliste éclopé la main dont il aura besoin; le médecin Zajac – qui pratiquera la greffe -, étonnant personnage, père anorexique qui essaie de recoller les pots cassés avec son petit garçon, enfant du divorce; quelques autres personnages plus secondaires mais crédibles, comme cette Evelyn Arbuthnot, quinquagénaire avec qui le protagoniste partage quelques nuits au Japon lors d’une mission professionnelle.

Tous ces héros de la vie quotidienne, comme Irving sait souvent les dépeindre, s’avèrent relativement attachants; sauf Wallingford, à qui on a du mal à croire. En fait, rien ne laisse présumer, pendant les trois quarts du roman, qu’il ait réellement besoin d’une autre main; son médecin, et ses donateurs, ont l’air de plus y tenir que lui-même!

Bref, l’intrigue paraît bien mince pour tenir sur presque 400 pages. Et même si Wallingford connaît plusieurs femmes, se pose un millier de questions, envoie balader son patron en remettant son métier en cause, il ne donne pas prise à l’identification, processus indispensable afin de bien mener un récit.

Ce qui n’arrange rien, la traduction de Josée Kamoun, pourtant réussie dans La Veuve de papier, se fait souvent laborieuse: "Le docteur avait une demi-génération de plus que Patrick Wallingford. Si Deerfield et Amherst, les institutions où il avait fait ses études, n’étaient pas mixtes à l’époque où il y était étudiant, cela ne suffisait guère à expliquer cette impression de célibat endurci qui se dégageait de sa personne avec la même indiscrétion que son effroyable eau de toilette."

Pour tout dire, ce livre tombe des mains, même quand on est une admiratrice de John Irving. Peut-être manque-t-il un élément essentiel, qui fait la réussite de ses plus grands romans: les enfants. Irving n’a pas son pareil pour parler à travers eux des relations familiales, de leurs complications, de leurs grands bonheurs; il excelle à raconter la fantaisie si propre à l’univers singulier que constitue chaque famille.

C’est le grand vide que donne à voir La Quatrième Main, un roman tristounet, sans réelle histoire, sans chair. Mieux vaut relire La Veuve de papier, le dernier grand cru de John Irving.

La Quatrième Main
de John Irving
Éditions du Seuil

2002, 374 pages

La Quatrième Main
La Quatrième Main
John Irving