Le coeur est un muscle involontaire : L’écriture et la vie
Ça commence dans une chambre d’hôpital, au chevet d’un homme qui se meurt sous les yeux secs d’une jeune fille, sa fille, venue le veiller. Ça finit dans le sous-sol de la maison de cet homme que l’on a vu s’éteindre, là où Florence, la fille, n’a jamais mis les pieds, et où elle retrouvera ses fantômes et ses trésors.
Ça commence dans une chambre d’hôpital, au chevet d’un homme qui se meurt sous les yeux secs d’une jeune fille, sa fille, venue le veiller. Ça finit dans le sous-sol de la maison de cet homme que l’on a vu s’éteindre, là où Florence, la fille, n’a jamais mis les pieds, et où elle retrouvera ses fantômes et ses trésors. Entre ces deux scènes qui ouvrent et referment les valves du troisième roman de Monique Proulx, Le coeur est un muscle involontaire, il y aura eu une déferlante de quelques mois, du printemps 2001 à l’automne de la même année, le temps, pour Florence, de découvrir la beauté de New York "du haut du World Trade Center", puis de pleurer sa "magie gisant sous les décombres"; le temps d’apprendre à aimer lire puis de se mettre à écrire; et le temps, pour nous, de s’imprégner jusqu’au coeur de cet univers foisonnant, d’apprendre à aimer "la pagaille de la vie" qui se joue dans cette histoire d’amour et de livres, une belle grande pagaille où fourmillent les idées, les envolées lyriques et délirantes, les images folles, belles, délurées, les considérations sur l’écriture et les noeuds de la-vie-la-vie, qui ne sont jamais, on le sait, aussi simples à dénouer qu’à la télé.
Qu’est-ce que cet étrange et scintillant objet si finement sculpté par Monique Proulx? Une ode à la littérature? Un essai sur le travail de l’écrivain? Une réflexion sur le rôle de l’art dans nos pauvres vies? Un hommage à Réjean Ducharme? Une critique de l’intransigeance du showbiz? Un exercice de style? Aucune de ces réponses, et toutes ces réponses à la fois.
Le coeur est un muscle involontaire raconte un passage de la vie de Florence, une jeune et très jolie jeune femme, une héroïne dure, drôle, frondeuse, bavarde, bourrée d’orgueil, brillante et désespérée. Florence alias Flora, jadis flouée dans son amour pour Zéno Mahonne, un homme qu’elle a aimé et qu’elle fait semblant, désormais, de pouvoir côtoyer sans que son coeur n’en souffre. Il y a Florence, donc, et Zéno, qui font rouler ensemble Mahone inc., un petit commerce de conception de sites Web qui se spécialise dans les artistes en mal de célébrité. Elle aime secrètement Zéno, lequel aime ouvertement la littérature, et passionnément les romans de Pierre Laliberté, une sorte de Réjean Ducharme en plus international – il a aussi conquis les States.
Florence, qui "ne tolère pas l’arrogance pesante des livres", reçoit pour son anniversaire un cadeau empoisonné: un livre de Laliberté, "cet écrivain mythique dont personne n’a jamais aperçu le visage, qui vit reclus comme un lépreux alors que les honneurs se ternissent et s’érodent à l’attendre". Et c’est en feuilletant mollement son bouquin qu’elle tombe sur cette phrase entendue à l’hôpital: "Le coeur est un muscle involontaire." Elle sait, maintenant, qui est Laliberté. Et quand Zéno apprendra qu’elle sait, il se mettra à genoux pour qu’elle l’aide à retracer son idole.
Dès lors, le roman de Monique Proulx prend des allures de quête et d’enquête: Florence part à la recherche de Laliberté, le piste jusqu’à New York, le retrouve à Montréal, dans le resto qu’elle fréquente depuis toujours, et se rapproche de cet homme mûr, à l’apparence si banale, jusqu’à percer son secret.
On peut être dérouté par moments au long de cette lecture de 400 pages bien tassées. On peut se languir durant certains passages qui s’éternisent (notamment ceux à New York), se sentir étourdi par l’avalanche de paroles qui sortent du monologue intérieur de Florence; on peut douter du choix, manifestement pris tard en cours d’écriture, d’intégrer les événements du 11 septembre et d’en tirer un parallèle un peu boiteux. Qu’importe! On retiendra bien davantage, au bout du conte: les moments fabuleux, réjouissants, exubérants, les moments de beauté d’écriture (surtout ceux où il est question, justement, d’écriture), les réflexions sur l’art en général, et en particulier l’art de s’abandonner devant une oeuvre, que ce soit une toile, un livre, ou un ciel criblé d’étoiles.
Le coeur est un muscle involontaire, de Monique Proulx
Boréal, 2002, 398 p.