Mendiant de l'infini : Monts et merveilles
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Mendiant de l’infini : Monts et merveilles

"Quand tu arrives en haut de la montagne, continue de grimper", dit un proverbe tibétain. Ces quelques mots résument bien le projet d’André Carpentier, auteur de Mendiant de l’infini, un récit qui mène au bout de soi davantage encore que sur les cimes himalayennes.

"Quand tu arrives en haut de la montagne, continue de grimper", dit un proverbe tibétain. Ces quelques mots résument bien le projet d’André Carpentier, auteur de Mendiant de l’infini, un récit qui mène au bout de soi davantage encore que sur les cimes himalayennes.

À travers les pages de ses carnets de voyage, puis de lettres envoyées à des amis, André Carpentier rend compte d’une grande aventure intérieure autant que physique, celle qui l’a conduit sur le plateau désertique du Ngari, à plus de 4500 mètres d’altitude. Région sacrée, difficile d’accès, où la petite équipée dont il fait partie chemine lentement sur les pas de Councho, le guide tibétain.

L’auteur apprivoise peu à peu cet environnement hostile et inspirant à la fois, intrigué par les nomades et pèlerins croisés en chemin, êtres aux silhouettes fantomatiques qui surviennent et disparaissent aussitôt, le temps d’imprimer la trace de l’humain à ce territoire esseulé. Malgré les maux de tête et les nausées dus à la marche en altitude, il prend constamment des notes, bribes de sens arrachées au brouillard. "Je barbouille des bafouilles, vu que l’altitude m’empêche d’écrire suffisamment et correctement et m’oblige à laisser des blancs dans les notes de mes carnets, à mettre partout des points d’interrogation ou de suspension (…)." Les trous seront comblés plus tard – la démarche rappelle d’ailleurs la tentative d’élucidation que représente tout projet d’écriture -, puis le texte, étayé de citations (Segalen, Claudel), formant un témoignage dense mais fluide.

Au coeur du périple, le mont Kailash, lieu de pèlerinage et axe symbolique du monde pour hindous et bouddhistes. En faire le tour, ou la circumambulation, efface les péchés de toute une vie. Carpentier, qui évoque souvent l’ascète mystique Milarepa (XIe siècle), auteur des Cent mille chants, présente une approche sensible du bouddhisme, intéressé entre autres par l’idée bouddhique de l’expérimentation par le corps. Il interroge l’incidence des déplacements physiques sur l’état intérieur. "Le dépaysement, comme celui que m’impose l’Orient, prescrit une forme d’effacement temporaire, qui est en fait un dessaisissement salutaire. Car on ne se fréquente jamais d’aussi près que lorsqu’on s’éloigne, qu’on se détourne de soi, j’entends de ce soi appris et apprivoisé, affiché, monté en épingle."

Si le genre du récit de voyage séduit a priori, tout chargé d’exotisme et des parfums de l’aventure, le défi est grand de ne pas le limiter à une suite d’impressions, de formules déjà lues. Le problème ici ne se pose pas, l’auteur ayant mûri une démarche d’écriture intelligente et profonde, à cent lieues de la carte postale édulcorée. André Carpentier, avec sa manière de donner vie au paysage, rappelle même certains écrivains-montagnards de renom, Frison-Roche par exemple.

Mendiant de l’infini constitue finalement une lente illustration de cette phrase de Fernando Pessoa, placée en exergue à l’une des parties du livre: "Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes."

Mendiant de l’infini, d’André Carpentier
Éditions du Boréal, 2002, 248 pages