La Muraille invisible : Le nouveau monde
Qu’est donc devenue la patrie de la sociale-démocratie? Cette question lancinante semble hanter tous les polars du Suédois HENNING MANKELL. Dans les mains de certains auteurs, le roman policier est l’outil par excellence pour révéler les maux des sociétés urbaines. Pour lui, le terrain de chasse, c’est Ystad, en Scanie. Une petite ville du sud de la Suède qui a troqué sa tranquillité pour une violence déréglée.
À travers le regard désenchanté de l’inspecteur Kurt Wallander, les romans de l’auteur des Morts de la Saint-Jean laissent filtrer le désarroi d’un policier devant la mutation d’une société de plus en plus déboussolée. Une société des exclus qui crient vengeance. Enfants abusés (Le Guerrier solitaire), femmes violentées (La Cinquième Femme), problème des réfugiés et de la xénophobie (Meurtriers sans visage), chaque crime apparaît comme le symptôme d’un mal profond qui ronge le pays d’IKEA.
Dans La Muraille invisible, cinquième roman de Henning Mankell publié en français, l’inspecteur principal Wallander se voit encore une fois confronté à des événements qui semblent tout d’abord ne rien avoir en commun. D’une part, le meurtre sordide d’un chauffeur de taxi par deux adolescentes montrant une effroyable absence de remords. Et la mort suspecte d’un consultant en informatique. Mais quand le cadavre de Tynnes Falk disparaît de la morgue, et que l’une des jeunes meurtrières est retrouvée carbonisée dans un transformateur, un lien émerge, sans qu’on discerne pourtant un mobile à cette ténébreuse affaire.
Sollicitant l’aide d’un jeune hacker pour percer à jour les secrets contenus dans l’ordinateur de l’énigmatique Falk, la police d’Ystad démêle lentement l’écheveau d’une machination d’envergure internationale, qui implique le réseau Internet, la Banque mondiale et d’étranges conspirateurs, dont l’un contrôle les ficelles à partir de l’Afrique… (Mankell vit lui-même la moitié du temps au Mozambique, où il dirige un théâtre.)
La Muraille invisible reprend la "formule" qui a fait la grande force des précédents romans de l’auteur. La densité captivante d’une enquête longue, complexe, minutieusement décrite, où le lecteur accompagne pas à pas l’équipe de l’inspecteur Wallander dans ses doutes, ses tâtonnements, ses fausses pistes, ses percées. Et surtout, la profonde humanité de son protagoniste, héros tourmenté, surmené, esseulé, assailli de doutes, dépassé par la violence de ce nouveau monde qu’il voit émerger. Sous le coup d’une enquête depuis qu’il a dû gifler une suspecte, Wallander se sent de plus trahi par les siens…
Pourtant, en bout de route, l’intrigue paraît un peu forcée et la conclusion insatisfaisante, laissant trop de fils en suspens. Mankell s’attaque ici à (trop?) gros, et en regard de l’ampleur du complot, le dénouement tombe comme un anti-climax.
Peut-être parce que cette fois, la thèse sociale de l’auteur occupe plus de place que l’intrigue: la "fragilité croissante de la société moderne" est le leitmotiv du roman. Voulant parler d’une époque où les véritables menaces se cachent désormais "dans les câbles en fibre optique qui (tissent) autour de la planète un réseau de plus en plus serré", Mankell expose la vulnérabilité d’un monde interdépendant, où une petite ville de Suède peut dorénavant être au centre de l’univers. La mondialisation du crime, quoi…
La Muraille invisible
de Henning Mankell
traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions du Seuil
2002, 429 pages