Le Dessin : Marc-Antoine Mathieu
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Le Dessin : Marc-Antoine Mathieu

Avec Julius Corentin Acquefacques, mettant en scène un héros prisonnier de ses rêves, Marc-Antoine Mathieu signait une des séries BD les plus étonnantes des années 90. Si cette oeuvre, couronnée de nombreux prix, présente un univers qu’on a souvent associé à celui de Kafka ou à l’ambiance des films de David Lynch, c’est dans sa maîtrise novatrice du noir et blanc qu’elle se démarque, dans ses illustrations sans tons de gris, avec des aplats de noirs, créant des effets saisissants.

Avec Julius Corentin Acquefacques, mettant en scène un héros prisonnier de ses rêves, Marc-Antoine Mathieu signait une des séries BD les plus étonnantes des années 90. Si cette oeuvre, couronnée de nombreux prix, présente un univers qu’on a souvent associé à celui de Kafka ou à l’ambiance des films de David Lynch, c’est dans sa maîtrise novatrice du noir et blanc qu’elle se démarque, dans ses illustrations sans tons de gris, avec des aplats de noirs, créant des effets saisissants. Le Début de la fin, par exemple, dernier tome de la série, présentait deux fois le même récit, l’auteur faisant apparaître en blanc dans la seconde partie tout ce qui était en noir dans la première, et vice versa. Un livre étrange qui nous prouvait de plusieurs façons que c’est dans l’absence de couleurs que s’observe le mieux la vigueur du graphisme… et que s’apprécie la bande dessinée.

Dans le dernier album de Mathieu, un hors-série intitulé sobrement Le Dessin, le noir et blanc n’est plus seulement une technique utilisée par le bédéiste, mais aussi le motif dominant du livre. Celui-ci s’ouvre sur un premier chapitre où le protagoniste, Émile, est en deuil d’Édouard, un ami avec lequel il partageait une passion sans borne pour l’art. La narration, lyrique, est empreinte du sentiment de solitude et d’abandon qui ne quittera pas l’album: "Il n’y aurait plus ces promenades discursives sur le sens de l’art, ou ces controverses insensées sur les qualités comparées du mystère et de l’énigme… L’alter ego était parti, laissant Émile face à une page blanche."

Un jour, cependant, Émile reçoit une lettre postée par Édouard avant sa mort. Une lettre qui fait du héros le légataire d’une mystérieuse gravure, un dessin en noir et blanc, en apparence insignifiant et surchargé, représentant l’appartement de son ami et contenant un message qu’il mettra des années à déchiffrer et qui, étonnamment, est un appel à l’usage de la couleur. Celle-ci, apparaissant brièvement à la fin de l’album, correspondra ironiquement avec la mort du personnage.

Le Dessin, c’est surtout l’histoire d’une obsession. Celle d’Émile à décoder (à partir du symbolisme des chiffres et des lettres, d’une carte du ciel, d’une foule d’objets) le sens de l’oeuvre dont il a hérité et dont toute sa carrière dépendra. En effet, les nombreuses décennies composant la trame temporelle du récit, le héros les passera à reprendre section par section le dessin, réalisant des tableaux de chaque détail représenté, devenant avec ses "reproductions" un artiste mondialement reconnu. Un succès qui n’atténuera pas la recherche d’Émile et son rapport jamais satisfait à son art qui, finalement, n’aura de sens que dans l’amitié disparue et finalement retrouvée… dans la couleur. Éd. Delcourt, 2001, 44 p.

Le Dessin
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Marc-Antoine Mathieu