Souvent la nuit tu te réveilles : Les destinées sentimentales
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Souvent la nuit tu te réveilles : Les destinées sentimentales

En croisant Simone dans la rue, difficile d’imaginer tous les chemins par lesquels elle est passée. Le personnage central de Souvent la nuit tu te réveilles, quatrième roman de Geneviève Letarte, a en effet les traits d’un être sans histoire: professeure de français dans la quarantaine, déçue de ne pas être allée au bout de certains projets d’écriture, célibataire à tendance dépressive, sa vie rappelle celle de bien d’autres.

En croisant Simone dans la rue, difficile d’imaginer tous les chemins par lesquels elle est passée. Le personnage central de Souvent la nuit tu te réveilles, quatrième roman de Geneviève Letarte, a en effet les traits d’un être sans histoire: professeure de français dans la quarantaine, déçue de ne pas être allée au bout de certains projets d’écriture, célibataire à tendance dépressive, sa vie rappelle celle de bien d’autres.

Dans ce récit kaléidoscopique, la réalité plus complexe qu’il n’y paraît de Simone se manifestera par bribes, composant un tableau de plus en plus dérangeant. À travers des bouts de textes au je, puis au elle, des flash-back remontant à l’enfance, des passages d’une poésie foisonnante et tourmentée – poésie témoignant des rêves, ou plutôt des rêves éveillés de celle qu’une voix paniquée réveille la nuit -, resurgissent les rencontres déterminantes, les relations vite fanées avec des amants ou amantes, les rapports nécessaires mais chargés de remises en question avec sa soeur Élia, qui a si bien réussi, elle, vie professionnelle et familiale.

Plusieurs petits tableaux en forment lentement un bien plus large, portrait d’une femme égarée, bohème de son temps, toujours partagée entre le désir de partir au bout du monde et celui d’établir des repères durables dans une vie éparpillée. "Exil de l’amour, amour de l’exil, est-ce soi-même que l’on fuit quand on court après quelqu’un? Paris, Brooklyn, Rome, tu as connu tout cela. Villes en flammes, déserts parfumés, îles nues, toi aussi tu as fui la neige et les sapins de Noël, toi aussi, un jour, tu as cherché l’amour loin de ta famille grignoteuse. Mais à présent, dans la torpeur de l’été, tu attends une lettre qui te donnera rendez-vous dans une ville étrangère, et tes pas allongés ne parviennent pas à calmer ta violence intérieure."

La mécanique du récit fonctionne bien, Geneviève Letarte dépeignant son personnage par touches habiles, préservant un mystère levé lentement. L’auteure varie les angles de vue de façon personnelle, partant souvent de l’anecdotique (une discussion dans la rue avec un inconnu, par exemple) pour décrire indirectement le caractère de Simone, pour dire son mal de vivre, la crise qui lentement mais sûrement s’organise. Elle propose en parallèle une réflexion fertile sur l’écriture, celle-ci apparaissant tantôt comme un exutoire, tantôt comme une occasion de fouiller les blessures, donc de les raviver.

Malgré tous les bouts d’histoires esquissés, malgré leur à-propos, Souvent la nuit tu te réveilles demeure un roman plutôt statique, chaque piste – dont plusieurs feraient le coeur d’un roman entier – ne constituant qu’un coup de pinceau apporté au portrait. Qualité d’abord, Geneviève Letarte s’en étant tenue rigoureusement à son projet premier, cette caractéristique fait aussi la limite d’un livre qui ressemble à une suite d’équations non résolues. Tout comme la vie de Simone, faut-il ajouter. Éd. de l’Hexagone, 2002, 195 p.