H. D. Thoreau : L’appel de la nature
Né en 1817, décédé en 1862, THOREAU demeure un auteur d’une étonnante actualité. Il est, notamment, à l’origine du concept de désobéissance civile et de l’idée de simplicité volontaire. Réédition et traductions.
Henry David Thoreau
est également l’ancêtre des écologistes. Il préférait d’ailleurs la compagnie des arbres à celle des hommes. À la vue d’un "groupe d’ormes majestueux", il se disait qu’ils "mériteraient d’être représentés au sénat du Massachusetts, plutôt que les fantoches qui vivent sous leur ombre". Radical! – le qualificatif s’applique à toutes les prises de positions de Thoreau. Et si ce genre de déclaration hérisse tant de gens, c’est parce qu’ils s’inquiètent, constate-t-il, de voir des types comme lui "respire[r] […] trop fort dans le voisinage de leurs châteaux de cartes".
Ces quelques phrases proviennent des "Extraits choisis" du Journal 1837-1861 de Henry David Thoreau: un maigre bouquin de 200 pages, les seules qui soient disponibles en français des 14 volumes, des foisonnants 5 500 feuillets d’annotations quasi quotidiennes qui, selon l’auteur, constituaient le meilleur de son oeuvre. Et cette sélection est la réédition d’un bouquin paru en 1986, qui reprenait lui-même un livre publié en 1967 sous le titre d’Un philosophe dans les bois, dont la traduction originale, de Régis Michaud et S. David, date de… 1930!
Au moins la traduction d’André Fayot des Forêts du Maine est-elle contemporaine. Constitué des récits de trois excursions dans les bois, le livre est une splendide leçon d’humilité. Thoreau y réalise que la nature est "une force que rien ne contraignait à être bienveillante pour l’homme"; qu’elle est faite "pour être habité[e] par des hommes plus proches parents que nous des roches et des animaux sauvages". Et à tous les promoteurs forestiers qui ne voient dans un arbre que des planches à l’état sauvage, Thoreau rétorque que "le pin, pas plus que l’homme, n’est bois d’oeuvre, en fabriquer des planches et des maisons n’est pas plus le meilleur et le plus juste usage qu’on peut en faire que le meilleur emploi de l’homme ne consiste à être abattu et réduit en engrais. […] Un pin coupé ou un pin mort n’est pas plus un pin qu’un cadavre humain n’est un homme".
Il faut applaudir la prévoyance du traducteur, qui en a référé à la Flore laurentienne et aux spécialistes du Jardin botanique de Montréal pour trouver les dénominations françaises des arbres et des plantes que Thoreau mentionne dans le livre. Il aurait cependant fallu mettre autant de soin à traduire les noms d’animaux et les appellations géographiques. Sous cette plume franco-française, le Maine est traversé d’élans, tandis que ce sont plutôt des chevreuils qu’on y trouve; le soleil s’y couche au son des grenouilles-taureaux (bullfrogs) au lieu de celui des ouaouarons; les "Indians of St. Francis" y deviennent des "Indiens de Saint-Francis", alors qu’ils sont de la rivière Saint-François…
Comme l’a signalé un de ses commentateurs, si Thoreau est encore mal connu des lecteurs francophones, c’est parce que, contrairement à Edgar Allan Poe, cet auteur n’a pas encore trouvé son Baudelaire: un traducteur à sa hauteur! On y est presque avec Marie-Claude White et sa remarquable version française de Couleurs d’automne.
Cette plaquette recèle du Thoreau de très haute volée. Les feuilles qui, en automne, tombent et s’amoncellent au pied des arbres "nous apprennent à mourir. On se demande si le temps viendra jamais où les hommes, avec leur foi prétentieuse en l’immortalité, se coucheront dans la tombe avec autant de grâce et de maturité, s’ils se dépouilleront ainsi de leurs corps, tout comme ils le font de leurs cheveux et de leurs ongles, avec la sérénité d’un été indien". Couleurs d’automne est un bouquin d’une espèce très rare: du genre qu’on referme en se disant qu’on le relira plusieurs fois au cours de son existence.
La réédition du Journal 1837-1861 et les parutions des Forêts du Maine et de Couleurs d’automne permettent de découvrir que Henry David Thoreau est un compagnon d’une fréquentation des plus agréables. Ceux qui l’ont côtoyé en ont témoigné: il avait le don de trouver les meilleures talles de mûres et de framboises des environs de son village…
Henry David Thoreau
Journal 1837-1861
Éditions Denoël et d’ailleurs
2001, 219 pages
Les Forêts du Maine
Éditions José Corti, collection Domaine Romantique
2001, 343 pages
Couleurs d’automne
Éditions Premières pierres
2001, 85 pages