Et l’or tomba dans le quartz du Nord : Grandeur nature
L’espace et la nature sont-ils des territoires mythiques dans la littérature québécoise? Deux livres, ceux de Jeanne-Mance Delisle et de Dorothée Banville-Cormier, y répondent à leur manière.
L’on s’imagine toujours l’Amérique comme un continent mythique, où la nature domine encore – je parle évidemment des espaces de légende, tels le Grand Nord ou l’Amazonie, la jungle ou la pampa. Bien sûr, on se trompe royalement. Ces grands espaces ont beau être sauvages, voire indomptables, ils demeurent des lieux où les hommes (ou la civilisation, si l’on veut) imposent leurs lois, comme le démontrent les livres de Jeanne-Mance Delisle et de Dorothée Banville-Cormier, parus aux éditions de la Pleine Lune.
La première, dramaturge, nouvelliste et romancière, est connue pour la force de son écriture, qui lui valut d’ailleurs le Prix du Gouverneur général pour sa pièce Un oiseau vivant dans la gueule et le Grand Prix du Journal de Montréal pour ses Nouvelles d’Abitibi. C’est d’ailleurs dans ce territoire où elle vit, que Delisle situe ses récits, et ce nouveau recueil de nouvelles ne fait pas exception. Et l’or tomba dans le quartz du Nord réunit deux histoires: El camino tan triste et Le Rêve d’un géant, qui composent un premier tome de nouvelles. Delisle y raconte des quêtes utopiques, mais l’utopie a toujours été le moteur des conquérants, ce qu’elle démontre. Dans le premier récit, un homme débarque dans un bar abitibien, La Maison du Tennessee. Cet immigré français (venu de l’autre côté de l’océan, et ayant habité au bord de la Loire) converse avec une danseuse, et lui confie ses réflexions les plus profondes. Il lui raconte son enfance, lui avoue sa passion pour l’ailleurs, "de vieux gènes qui traînent dans un coin de mon être". S’engageant dans l’armée à 20 ans, l’homme nouera d’étranges liens avec le bien et le mal. "Le corps poussé à l’extrême limite de ses forces devient un excellent outil de formation. Il va au-delà de la souffrance. Il la dépasse."
Plus tard, il narre son voyage en Équateur, où il est envoyé comme prospecteur dans une mine. Dans un petit village, il attend son guide. "Et, un beau jour, j’ai entendu au loin le son d’une guitare. Il est étrange que je n’y aie porté aucune attention auparavant. J’ai vu deux hommes s’avancer vers la tienda. L’un d’eux, guitare en bandoulière, souriait de toutes ses dents. Je lui ai demandé s’il était mon guide. Il m’a répondu simplement qu’il s’appelait Edwin." Avec lui, le gringo découvrira la vraie vie du pays, la vérité de ces gens si différents qu’il méconnaît. La quête de l’or devient secondaire, même, il l’oublie.
Dans le second récit, Jeanne-Mance Delisle relate la vie d’un prêtre rebelle, Cham Paradis, (membre des Oblats, une congrégation catholique fondée en 1816 qui avait pour mission de christianiser les autochtones). Peintre et poète, Paradis se rend à Fort Albany en admirant et dessinant le paysage. Avec un jeune Amérindien, petit-fils du chef des Assiniboëls, le missionnaire découvre un trésor que convoitent tous les chercheurs d’or du nord de la région de la baie d’Hudson. Au contact du jeune homme, Paradis devient rebelle et confronte les instances supérieures de son ordre pour des questions de principes.
Dans les deux nouvelles, l’or est évidemment métaphore d’une richesse morale, métaphysique que Delisle rend avec beaucoup de ferveur. Les hommes, dans l’immensité, restent des âmes errantes qui trouvent leur but et leur raison de vivre à travers leurs semblables.
Enfants des glaces
C’est un peu les mêmes motifs qui tissent les récits de Dorothée Banville-Cormier, qui a publié de la poésie avant de faire paraître ce premier recueil de récits Mémoire d’Inuksuk. De descendance huronne, l’auteure a été infirmière auprès des communautés autochtones et inuites pendant plus de 20 ans. Sa prose, bien qu’empreinte de poésie, tient plus du récit ethnographique que de la littérature.
Banville-Cormier s’inspire dans ses quatre textes de faits dont elle a été témoin, ou qu’elle a entendu raconter autour d’elle (on trouve toutes ces précisions au début de chacun des récits). Dans Aurore boréale, on découvre un jeune Inuit, Isik, dont l’enfance est assombrie par l’abandon et la misère. S’essayant à tous les mauvais coups possibles, il finit par s’autodétruire aux vapeurs d’essence. Rebelle, mais sans savoir pourquoi, il est condamné à l’exil par son peuple qui le met à l’épreuve afin qu’il retrouve sa fierté. Dans Complot sur la banquise, c’est une coutume inuite que met en scène l’auteure, usage qui consiste à abandonner les vieilles femmes, des bouches devenues inutiles, sur les banquises afin de les rendre à la nature. "Les femmes parlaient doucement, dissimulant leurs peurs secrètes, et leurs paroles imprégnées de douleur flottaient sur le campement, sans cris, sans éclats, comme une brise d’été. Puis, en mémoire de l’aïeule disparue, chacune, à tour de rôle, commença à chanter d’une voix profonde et gutturale. Leurs voix s’unirent ensuite les unes aux autres, en crescendo, pour former un vaste choeur qui imitait le cri de chacun des animaux sauvages de la toundra."
Dans L’Ancêtre Sarah, un groupe formé de trois hommes, dont le maire du village, et d’une seule femme, la vieille Sarah, part à la chasse. Le but de l’expédition: désigner le meilleur chasseur. Le combat est impitoyable, qui confronte le groupe au froid, à la tempête, aux animaux et, surtout, à la rivalité mutuelle.
Malgré une langue plutôt ordinaire (qui n’échappe pas aux lieux communs, aux formules toutes faites, et qui contient plusieurs coquilles), le livre de Banville-Cormier touche par la vérité des récits et la cruauté que l’on sait exister dans cette nature hostile et grandiose.
Les nouvelles de Jeanne-Mance Delisle sont plus littéraires, et son style travaillé, si personnel, est remarquable. Mais l’un comme l’autre, les deux ouvrages ouvrent des brèches sur des mondes peu connus qui ont tant à nous apprendre.
Mémoire d’Inuksuk
de Dorothée Banville-Cormier
Éd. de la Pleine Lune, 2002, 114 p.
Et l’or tomba dans le quartz du Nord
de Jeanne-Mance Delisle
Éd. de la Pleine Lune, 2002, 122 p.