Poésie : La mort vous va si bien
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Poésie : La mort vous va si bien

Dessiner l’ombre de la mort pour mieux dégager les reliefs du vivant, ainsi pourrait être présenté le projet récent de deux poètes de grand chemin, DENISE DESAUTELS et ANDRÉ ROY.

"je cherche ailleurs et cours / après autre chose / que le dépérissement / coutumier, ta maladie, ta mort / sans pitié / le flamboyant défilé / de tes catastrophes / autre chose, n’importe quoi / pourvu que ça ressemble / à de l’extrêmement vivant". Pardonnez la longueur de la citation initiale, mais elle introduit si bien Pendant la mort, le plus récent recueil de Denise Desautels… Troisième volet d’un triptyque portant sur la mort et le deuil (plusieurs ont en mémoire le magnifique Tombeau de Lou, publié en 2000), cet envoûtant monologue poétique retrace les moments marquants de la relation entre une femme et sa mère, aujourd’hui disparue.

Rédigé en vers, le texte conserve un certain aspect narratif, les motifs étant lentement dessinés comme au fil d’un récit. Sur le ton de la confidence, l’auteure partage l’essentiel d’une relation interrompue par la mort, et qui pourtant se prolonge bien au-delà. Sobres, accessibles aux non-initiés, les poèmes de Denise Desautels ne donnent pas dans le tape-à-l’oeil ou l’éblouissant. Cette dernière cherche à traduire, patiemment, une fascination pour cette "fosse" mystérieuse vers laquelle nous avançons, décryptant une série d’"indices" qui permettront de l’appréhender avec moins d’angoisse.

Jamais morbide, le texte prend peu à peu les airs d’un chant de réconciliation, de célébration de la vie: sertis par la mort, la nature, la condition humaine et le monde environnant se trouvent magnifiés. L’auteure parlera souvent d’un besoin tardif mais essentiel de dire le paysage, de nommer les arbres par leur nom exact, comme pour marquer une communion nouvelle avec le monde.

Elle fera ensuite écho à certaines discussions entre sa mère et elle, dont quelques-unes très touchantes portant sur l’existence de Dieu. Elle raconte comment, pour ne pas la peiner, elle lui faisait croire qu’elle croyait encore, elle dont la foi s’effritait rapidement. Un tendre repentir lui fera écrire, faisant référence à Camus, "j’aurais souhaité qu’Il existe, ton Dieu".

Sous une autre plume, Pendant la mort aurait pu tomber à plat. Tout le doigté de Denise Desautels est de redonner vie à une mère disparue, une vie permise par la mémoire et permettant d’humaniser la mort, "malgré les astuces raffinées / du malheur / qui de tout temps a proliféré / s’est joué de nous".

André Roy explore un autre registre. Nous sommes tous encore vivants, un projet très original, cultive l’énigme et ne distribue ses clés qu’une par une.

Auteur d’une vingtaine d’ouvrages poétiques et critique de cinéma, l’auteur a choisi d’articuler son travail autour du septième art. Exprimant la mécanique du désir et nos rapports avec l’image, il s’intéresse moins à la mort qu’aux mouvements et aux représentations artistiques exaltant le vivant. Déclinée en différents degrés, la thématique est d’ailleurs habilement chapeautée par cette phrase, placée en exergue: "Le monde est un spectacle dont le cinéma a réveillé les fantômes."

Si l’approche du cinéma décrit, à un premier degré, la fascination de l’oeil devant le grand écran, elle constitue peu à peu une vaste métaphore de toutes les projections nées du désir ou de la soif. André Roy explore, en somme, le rêve éveillé, puis la beauté cruelle parce que éphémère des vies que l’on s’invente. Il réfère à des mises en scène plus grandes que nature, pour aussitôt nous renvoyer à nos propres vies, créant une juxtaposition de la fiction et de la vie réelle.

Nous sommes tous encore vivants est un livre à part, d’une grande cohésion, qui nous rassure sur la possible originalité d’une poésie contemporaine qui si souvent bégaie.

Nous sommes tous encore vivants, d’André Roy
Éd. Les Herbes rouges
2002, 80 pages

Pendant la mort, de Denise Desautels
Éd. Québec Amérique
2002, 112 pages