Hot Blues : Séropositif blues
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Hot Blues : Séropositif blues

Serge Bruneau a sûrement livré une part de lui-même dans ce Hot Blues, dont le narrateur est peintre, tout comme lui. Ce premier roman, présenté comme étant "d’abord un ton, cynique, drôle et cool", met en scène le triangle non pas amoureux mais amical que forment le narrateur, son agent Bédard et Kim, serveuse au Hot Blues, un bar où tout ce petit monde engourdit les angoisses.

Serge Bruneau

a sûrement livré une part de lui-même dans ce Hot Blues, dont le narrateur est peintre, tout comme lui. Ce premier roman, présenté comme étant "d’abord un ton, cynique, drôle et cool", met en scène le triangle non pas amoureux mais amical que forment le narrateur, son agent Bédard et Kim, serveuse au Hot Blues, un bar où tout ce petit monde engourdit les angoisses.

La vie des trois quadragénaires, jusque-là faite de petits hauts et de petits bas, se transforme en drame de tous les jours depuis que Bédard a contracté le sida. Alors que le condamné, qui pourtant dépérit à vue d’oeil, poursuit ses activités comme s’il allait emporter ses commissions dans la tombe, que Kim se démène pour le soutenir et le soigner, le narrateur, déboussolé, demeure présent pour son ami mais refuse la maladie. Il refuse, du moins, de laisser l’inéluctable envahir ses pensées. Il n’en traversera pas moins une longue panne d’inspiration, collectionnant de brefs moments de réconfort dans les bras de Dolorès, une belle originale et impétueuse rencontrée un soir au Hot Blues.

Le narrateur a beau se refermer comme une huître, le malheur de son ami, et tout ce que l’épisode suscite comme remises en question, empoisonne et l’homme et l’artiste. "La moindre idée glisse sur la surface lisse de mes méninges et les idées, quand ça se met à glisser, on risque de les perdre toutes. Les moches comme les bonnes. […] C’est difficile de ne pas penser et de ne pas bouger. C’est difficile d’être mort."

Hot Blues s’inscrit dans la veine des récits mi-récréatifs, mi-initiatiques à la Stéphane Bourguignon, Alain Beaulieu ou Guillaume Vigneault. Or, la frontière est fragile entre le "cool décadence" et le "cool-par-tous-les-moyens". Serge Bruneau est tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Bien sûr, il y a dans son roman une étude de moeurs plutôt juste et un tableau de génération touchant, le récit non moins touchant d’une amitié malmenée, des personnages un peu stéréotypés mais somme toute crédibles. Il y a un savoureux cynisme, surtout, quand le narrateur critique les habitués des vernissages – il faut lire le passage où il se sent obligé de vendre son travail à une inconnue fortunée. "Lucette Lavoie m’interroge sur mon travail et je m’efforce d’être plus loquace qu’à l’habitude. Ce n’est pas que j’aime particulièrement les collectionneurs, mais je n’ai pas vraiment les moyens de cracher sur l’argent par les temps qui courent."

Les indécisions créatrices du peintre, par ailleurs, les blocages artistiques liés au déclin de son agent et ami, tout ça nous le rend humain et attachant. Dommage qu’on ne puisse s’empêcher d’entendre, tout au long de ce Hot Blues, une petite voix racoleuse, quelque chose de faussement nonchalant. Une inflexion un peu ringarde qui multiplie les commentaires du genre: "Je suis un peintre, je me dis, et quand une fille décide de venir s’y frotter, faut accepter la merde qui vient avec."

Hot Blues: un livre pertinent parfois, drôle par moments, décevant l’instant d’après. On a bu tellement d’histoires de dérives alcoolisées, ces dernières années: il faut faire très fort pour nous enivrer encore.

Hot Blues, par Serge Bruneau
XYZ éditeur, 2002, 184 pages