Le Champ électrique : Kerri Sakamoto
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Le Champ électrique : Kerri Sakamoto

Asako Saito, la narratrice du Champ électrique, est une nisei. Une Japonaise qui a grandi au Canada, "de cette espèce qui n’est ni d’ici ni de là-bas". La solitaire vieille fille apparaît aussi comme une exilée de la vie. Au service de son père grabataire et de son gros bébé de frère, Asako n’a d’autres distractions que de ressasser ses souvenirs ou d’épier ce qui se passe par-delà ses fenêtres, à l’ombre des géants pylônes électriques qui limitent les horizons de son existence  étriquée.

Asako Saito, la narratrice du Champ électrique, est une nisei. Une Japonaise qui a grandi au Canada, "de cette espèce qui n’est ni d’ici ni de là-bas". La solitaire vieille fille apparaît aussi comme une exilée de la vie. Au service de son père grabataire et de son gros bébé de frère, Asako n’a d’autres distractions que de ressasser ses souvenirs ou d’épier ce qui se passe par-delà ses fenêtres, à l’ombre des géants pylônes électriques qui limitent les horizons de son existence étriquée.

Un événement majeur vient justement causer de l’émoi dans ce tranquille voisinage ontarien où, coïncidence, résident trois familles nihonjin (japonaises): l’assassinat brutal de la belle Chisako et de son amant blanc. Depuis, le mari, Yano, a pris la fuite, entraînant avec lui ses deux enfants, dont le sort reste incertain.

Le premier roman de la Torontoise Kerri Sakamoto examine surtout les liens complexes nouant la secrète narratrice à son entourage: Sachi, une fillette portée à l’automutilation, désespérée par la disparition de son jeune voisin et petit ami; la séduisante Chisako, dont Asako est la confidente admirative et envieuse à la fois; Yano, qui rumine sa colère et tente vainement de mobiliser la communauté nippo-canadienne afin qu’elle exige du gouvernement fédéral un dédommagement pour sa déportation forcée dans d’infamants camps, durant la Deuxième Guerre mondiale, 30 ans plus tôt (on est en 1975).

Une lutte que rejette l’héroïne, plutôt hantée par un sentiment de culpabilité personnel, et de haine de soi. Ultimement, c’est la honte de ces deux personnages blessés qui précipitera la tragédie.

Sous la surface étale de "mademoiselle Saito" se découvre peu à peu un nid de jalousie, d’esseulement et de peur de l’abandon. Ce personnage à la vie sacrifiée a dressé un autel à la mémoire de son aîné adoré, Eiji, dont la mort prématurée, dans un camp – qui fait écho au drame présent -, a sonné trop tôt le glas de son bonheur d’enfant. "Toute ma vie, on m’avait habituée à ne rien attendre de l’avenir, ni promesse, ni danger, rien, et ce rien m’avait peu à peu changée en glace", admet-elle.

D’où le ton très contrôlé de la narration de ce personnage à la fois pathétique et monstrueux par certains côtés, dont le roman nous offre une étude nuancée, sensible, pénétrante. Dans la traduction d’Ook Chung, qui coule de source, à coups d’allers et retours dans le passé, Le Champ électrique construit savamment une sorte de lancinant puzzle psychologique. D’ailleurs, l’apparition tardive dans l’intrigue d’un détective, extérieur à la tragédie, paraît presque incongrue dans cet univers clos, étouffant. Un premier roman généralement très maîtrisé, mais où la narration discrète, le rythme lent, le drame diffus risquent d’engourdir un peu l’intérêt du lecteur.

Méditation sans manichéisme sur le drame des camps de déportation, incarnée à travers une histoire subtile, Le Champ électrique rejoint ce corpus de plus en plus nombreux de romans canadiens, issus de l’immigration, qui témoignent d’une manière différente de vivre ici, tout en éclairant de l’intérieur un épisode peu glorieux de notre Histoire commune.

Éd. Boréal, 2002, 300 p.

Le Champ électrique
Le Champ électrique
Kerri Sakamoto