Vieille menteuse : L'amère à boire
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Vieille menteuse : L’amère à boire

L’auteure britannique Anne Fine excelle dans l’art du portrait de famille comme le démontre encore ce roman: Vieille menteuse. Avec ironie et humour, elle poursuit sur une lancée qui fait son succès auprès du grand public.

Méfiez-vous des auteures anglaises. Sous leurs doux airs distingués, elles dissimulent souvent des griffes bien acérées. Anne Fine est de celles-là. Cette réputée auteure pour enfants (dont le roman Madame Doubtfire, apparemment gâché par Hollywood) signe aussi pour leurs aînés des histoires qui se distinguent par leur ironie caustique. L’auteure d’Une sale rumeur et de Dans un jardin anglais (tous deux publiés chez l’Olivier) poursuit ici son examen sans concession de cette drôle de chose qu’est la famille.

Vieille menteuse comporte des réflexions d’une cruauté étonnamment jouissive sur la vieillesse et ceux qui en souffrent. Mais le roman dresse surtout l’amusant et pathétique portrait d’un vieux garçon gauche et mou, "une bonne poire", à la merci des caprices et méchancetés des femmes de son entourage, sa maman au premier chef. Son autoritaire soeur, Dilys, ayant cessé depuis cinq ans de parler au tyran maternel, le pauvre Colin a dès lors hérité de toutes les responsabilités filiales, et est livré seul aux vacheries de la vieille dame, à la posture de martyre, qui a érigé "la méchanceté en art de vivre".

C’est une question de pouvoir, pense Colin, peut-être le seul qui lui reste. ""Mon monde est en train de rétrécir, aurait-elle pu aussi bien dire à haute voix. Je n’entends rien au fonctionnement de ce nouveau thermostat électronique sur la chaudière. Je ne me verrais plus au volant d’une voiture. (…) Mais il y a une chose dont je suis encore capable, je crois, c’est de te regarder grincer des dents quand j’agis comme je l’entends. Et je ne vais pas m’en priver!" / Pas étonnant que la maltraitance des mamies fut devenue monnaie courante."

Heureusement, le timide Colin a ses secrets pour survivre à ces séances d’humiliation. Des évasions dans l’imaginaire, où il invente des jeux télévisés aussi drôles qu’impitoyables pour traiter du problème des vieux. Des incantations puériles où il jette des sorts à sa mère. Et surtout, sa relation réconfortante avec Tammy, trois ans, la lumière de sa morne existence, une fillette miraculeusement sauvée par son énergique soeur lors d’un vol plané – "Si ça avait été moi, je ne l’aurais pas rattrapée", admet le maladroit.

Dans un portrait justement campé ("les timides passaient des heures à ressasser des choses qu’ils avaient failli dire, des décisions qu’ils avaient failli prendre, et cette rumination les accaparait tellement qu’ils ne voyaient même plus la personne qu’ils avaient en face d’eux"), Vieille menteuse déroule le récit d’une émancipation mentale. À mesure que sa mère vieillissante perd de l’emprise sur lui, le fils soumis gagne en assurance.

Les différentes responsabilités de ce fonctionnaire municipal (rayon hygiène publique), qui accumule, malgré toute sa bonne volonté, bourdes sur gaffes, finiront par se croiser, et les petits incidents domestiques dont le livre faisait son sel au début (dont un conflit autour d’un contrat d’assurance) vireront en catastrophes majeures. Avant de rebondir, dans une ultime pirouette (une acrobate joue un rôle dans l’histoire), en issue heureuse.

Pour finir, Anne Fine raccorde habilement toutes les pistes de l’intrigue dans un tableau cohérent mais cocasse qui en compromet un peu la vraisemblance, mais avec une jubilation légère impossible à bouder. Du bonbon. Mais à saveur acidulée…

Vieille menteuse
Traduit de l’anglais par Dominique Kugler
Éd. de l’Olivier, 2002, 315 p.