Les Mauvaises Fréquentations : Au nom du père
Les Mauvaises Fréquentations est le huitième roman d’ISABEL VAILLANCOURT. Une récit correctement mené, mais qui ne tient pas ses promesses.
"J’ai acheté du papier à lettres très joli, papa. Dans le coin de chaque feuille, à gauche, on peut voir l’image d’un petit garçon aux lunettes rondes qui se penche sur un globe terrestre. (…) J’ai besoin de t’écrire, tu vois. De te raconter ce qui se passe ici. Tu vas perdre ta place à la maison, moi je dis, si tu ne reviens pas à temps."
D’entrée de jeu, l’on perçoit la voix de cette petite Josette, héroïne du huitième roman d’Isabel Vaillancourt; l’enfant se désespère de retrouver son père. Est-il parti, est-il malade, a-t-il oublié ses filles Josette, Judith et Esther, sa femme, son foyer? La narratrice s’inventera 1000 raisons pour excuser ce père oublieux qui lui manque cruellement.
Tout le roman de Vaillancourt est construit sur la quête minutieuse de la fillette, s’adressant à son père qu’elle croit en quarantaine dans un hôpital de Montréal. Inlassablement, elle questionne sa mère qui lui a raconté une histoire sur le coin de la table, se fichant bien des répercussions sur son enfant. Qui la délaisse aussi pour Jérôme, qu’elle fréquente de plus en plus, et qui travaille avec elle au Kresge. "Tu seras gentille avec lui, n’est-ce pas?"
Aucune chaleur dans cette famille d’où fuit l’aînée, Judith, enceinte. "Judith lui a fait beaucoup de peine, mais son coeur a tenu le coup. Je passe la soirée à regarder la télé avec elle et, discrètement, je surveille sa respiration. Nos bêtises finiront par la tuer."
Se sentant responsable de son père, de sa mère, du destin familial, il n’y a plus beaucoup de place pour l’enfance et l’innocence dans la tête et le coeur de Josette. "Quand je t’ai écrit que je souhaitais la mort de maman, papa, je ne le pensais pas. Il y a déjà toi pour qui je ne cesse de m’inquiéter. Je ne sais pas comment faire pour que les choses reviennent comme avant."
C’est cet aspect du personnage qui ressort le mieux du roman d’Isabel Vaillancourt: le désarroi, la solitude, et le vide que crée l’absence de chaleur et de protection auxquelles ont droit tous les enfants.
Dans la longue lettre qu’elle écrit à son père, le fossé se creuse entre Josette et les autres; c’est le thème que développe le récit: cet isolement de l’enfant seule avec ses rêves, ses fantasmes, ses explications bancales que personne ne vient éclaircir.
Le grand absent des Mauvaises Fréquentations parvient donc à prendre une large place, celle que lui fait Josette qui a tant besoin de lui. "Sais-tu que je ne passe pas une minute de ma vie sans penser à toi? (…) À la maison, la vie file sans toi, et maman prend toute la place dans votre lit. Je n’en peux plus de ton silence."
Un autre fantôme hante l’existence de Josette, celui de sa tante, cloîtrée chez les soeurs et dont le souvenir lui redonne de l’espoir. Peut-être sait-elle où se trouve son père? Peut-être lui révélera-t-elle un secret de famille? L’héroïne tentera tout pour le retrouver, bravant tous les dangers. "Je dois jouer celle qui sait où elle s’en va. Conseil de Judith. Ne regarder personne, ne parler à personne d’autre que le chauffeur d’autobus (…)."
Grâce à son personnage dont le ton est juste, le portrait psychologique crédible, Les Mauvaises Fréquentations aurait pu tenir la route. Malheureusement, une certaine confusion nous perd vers la fin, dont on comprend mal le dénouement. Soulignons également que l’écriture, trop parlée, un brin simpliste ("T’auras profité de ton hospitalisation pour te faire renvoyer dans la jungle de ton enfance"), manque de richesse, de personnalité. Cela donne un roman moyen, dont le récit peut parvenir à toucher, mais dont la qualité littéraire n’est pas achevée.
Les Mauvaises fréquentations
d’Isabel Vaillancourt
Éd. Vlb, 2002, 176 p.