La fiction de l'après-11 septembre : C'était demain
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La fiction de l’après-11 septembre : C’était demain

Comment s’inscrivent des événements tels que ceux du 11 septembre 2001 dans la littérature? Nous l’avons demandé à un observateur privilégié: Jean-François Chassay.

Plus lente à réagir que le septième art, la littérature s’inscrit dans la durée, et l’on devra sans doute attendre quelques années encore avant que les effets du 11 septembre 2001 se fassent sentir jusque dans la fiction. En attendant, nous avons tenté de retracer, dans des romans parus au cours de la dernière année, des passages relatant les attentats (voir citations). Et nous avons demandé au romancier Jean-François Chassay, spécialiste de littérature américaine, auteur de Fils, lignes, réseaux: essai sur la littérature américaine (Liber) et de L’Ambiguïté américaine (XYZ), s’il croyait que les tragédies qui ont eu lieu à New York le 11 septembre 2001 allaient influencer ou transformer durablement le paysage littéraire.

"Je dirais que la chute des deux tours du World Trade Center, avance l’auteur de L’Angle mort, ça fait 20 ans que Don DeLillo (Mao II, Americana) l’écrit. Ça fait 20 ans qu’il travaille sur une oeuvre qui nous dit que nous vivons dans une société paranoïaque, dans une société où le mal est partout. Car personne ne sait d’où vient le mal! C’est ça la grande différence entre aujourd’hui et il y a 50 ou 100 ans. Avant, on pouvait dire que le mal venait du pouvoir. Mais aujourd’hui, le pouvoir, on ne sait plus où il est. Il est partout et nulle part. Qui a le pouvoir aux États-Unis, est-ce que c’est le président? Les directeurs de compagnie? Des apparents sous-fifres qui n’en sont pas? Le mal vient de partout, le pouvoir, il est partout et nulle part, et le World Trade Center, c’est exactement ça: le mal est arrivé tout d’un coup, de nulle part.

"Si quelque chose doit finir par apparaître dans la fiction, poursuit Chassay, ce sera peut-être l’arrivée de la peur. Mais est-ce que ça aura un effet durable sur la perception que les Américains ont d’eux-mêmes? Je n’en suis pas sûr. L’une des choses qui m’ont le plus frappé, par exemple, c’est de voir que deux jours après les attentats, les Américains en faisaient du commerce. Ils transformaient ça en truc commercial comme ils le font avec n’importe quoi, en vendant des t-shirts, des cartes postales, etc. Il me semble que si j’avais véritablement très peur, je ne porterais pas de t-shirts qui me rappelleraient l’objet de ma peur. Au fond, c’est comme s’il n’y avait pas de véritable prise de conscience. Et je me demande si, à moyen terme, la chute de ces autres tours que sont Enron et WorldCom ne va pas avoir plus de poids…"

Le 11 septembre passé à la fiction: les premières traces

"C’est le lendemain, quelques heures à peine plus tard, qu’il est arrivé à New York cette choses monstrueuse, propulsant l’univers connu dans une direction inconnaissable. Comme les autres, je me suis retirée de la vie pour traquer devant le petit écran les soubresauts de la catastrophe. Je n’ai pas été surprise, sans vouloir être cynique – ou en l’étant complètement. Tous les mondes sont destinés à s’effondrer. Ce n’est qu’une question de temps.
Mais je n’avais pas prévu en avoir autant de chagrin. Il y avait maintenant, dans ce trou béant fait à la splendeur, tant de morts et de douleurs ramassées, une énergie noire si dense qu’elle ne pourrait jamais se dissiper. Mais par-dessus tout, je pleurais la magie. La magie pure de cueillir du ciel les dentelles de Manhattan, la magie sacrée d’une montagne de cent dix étages attestant du prodige de naître humain, la magie gisait maintenant sous les décombres."
Monique Proulx, Le coeur est un muscle involontaire, Boréal, pages 355, 356

"Des kamikazes frappent New York et trois mille personnes en meurent avant même d’avoir fini leur première tasse de café. Qu’est-ce que peut bien faire un petit tas d’ossements qui remontent à on ne sait combien d’années, hein?"
Michael Connelly, Wonderland Avenue, Seuil policier, page 187

"Le téléphone a sonné, on a entendu Alice dire "de quoi tu me parles", d’une voix endormie, puis, reprenant ses esprits, s’exclamer sur "le World Trade Center?" Elle a bafouillé encore quelques minutes, puis a raccroché précipitamment, elle est revenue dans le salon, encore plus blême qu’avant. (…) Elle a allumé la télé. Et il n’y a pas eu besoin de chercher la chaîne ou quoi que ce soit, la première tour était en feu. Ils poussaient des hauts cris quand la deuxième s’est fait percuter. (…) Puis elles se sont écroulées. Sous nos yeux. (…) On avait peur de ce qui allait suivre, une peur atroce et paniquante. Mais on était surtout heureux, que ce vieux monde s’écroule et crève. Rien ne serait pire que cette paix-là."
Virginie Despentes, Teen Spirit, Grasset, 2001, page 220

"Je ne voulais plus les voir. Ces vieux chnoques. De leurs soirées, je sortais épuisée, étourdie, à moitié malade. Leur conversation était tellement emmerdante. Ils n’avaient jamais entendu parler de Sex and the City, ils n’avaient jamais écouté de rap, ils s’habillaient comme des nazes (…). Ils ne lisaient jamais de romans, ils ne regardaient jamais la télé – et le jour où le Worl Trade Center a été rayé de la carte, ils ont appelé trois jours après pour nous demander ce qui se passait. (…)"
Philippe Djian, Ça, c’est un baiser, Gallimard, 2001, page 115

"Après le désastre du World Trade Center, en 2001, il (le service de sécurité du Président des États-Unis, qui apparaît dans le livre) s’était préparé aux scénarios les plus fous. Près de sept ans s’étaient écoulés, mais il n’avait pas baissé la garde."
Armand Herscovici, Code tetraktys, Seuil, page 303

"Je rends visite à ma meilleure amie. Depuis que sa fille est née il y a quelques semaines, la télé est toujours allumée. Les femmes au foyer, les oisifs, les dépressifs, les journalistes et les courtiers en Bourse, vont être les premiers à voir ce que nous voyons. Un avion s’encastre dans le World Trade Center. Des gens sautent par les fenêtres. Le Pentagone est en flammes. Les tours s’effondrent. (…) Idée irréelle, malaisée, de savoir que le bébé ne connaîtra jamais ces tours, sinon peut-être comme le symbole, la ruine symbolique, de quelque chose que j’ignore encore, un Colisée moderne."
Marie Darrieussecq, Le Bébé, P.O.L., pages 126, 127