La Chanson des mal-aimants : de Sylvie Germain
Depuis ses tout débuts, Sylvie Germain construit un univers envoûtant et original. Plus qu’un univers, c’est un véritable royaume dans lequel évoluent ses personnages moitié anges (ou moitié monstres), moitié humains. Avec le temps, et depuis Le Livre des nuits (1984), la présence du merveilleux cède à un plus grand réalisme, mais sans sacrifier à la beauté et à la magie de l’écriture et de sa poésie.
Depuis ses tout débuts, Sylvie Germain construit un univers envoûtant et original. Plus qu’un univers, c’est un véritable royaume dans lequel évoluent ses personnages moitié anges (ou moitié monstres), moitié humains. Avec le temps, et depuis Le Livre des nuits (1984), la présence du merveilleux cède à un plus grand réalisme, mais sans sacrifier à la beauté et à la magie de l’écriture et de sa poésie.
Dans Chanson des mal-aimants, Sylvie Germain raconte la vie d’une femme marginale mais ô combien inspirante. "Sitôt née, j’ai été confiée au hasard. Certes, ce n’est pas la plus fiable des nourrices, le hasard, mais ce n’est pas la pire. Père et mère, d’un commun désaccord en temps décalé, n’ont pas voulu de moi."
La petite est laissée dans un cageot de framboises, sur le chemin, et recueillie par des religieuses qui croient à des blessures lorsqu’elles voient les tâches rouges souiller les langes du bébé. "Mais un nouveau-né poignardé n’aurait pas gigoté et piaulé avec autant de vigueur. Elles m’ont extirpée de mon cageot, mise nue, et ont constaté que j’étais en parfait santé. Et également une parfaite albinos." La guerre survient, et l’enfant est élevée chez les religieuses, qui la baptisent Laude-Marie Neigedaoût, avant d’être confiée à un couple de villageois des Pyrénées. Là débute "l’histoire en patchwork de ma vie de paria", raconte la narratrice.
Chez Léontine, il y a au moins d’autres enfants. Ceux dont s’occupait la vieille dame, et qui avaient perdu leursparents, à cause de la guerre, et qui les attendaient avec dévotion. "Bientôt, me répétais-je inlassablement, les miens viendront, éclatants de blancheur tels les anges veillant au bord du tombeau vide, leurs yeux auront la couleur des framboises et leurs baisers, un goût de fruit."
Mais la petite grandira sans jamais connaître ses parents et quittera cette auberge pour une autre, dans laquelle l’on pratique un insolite culte de l’ours. "Des portraits de certains de ses aïeux posant en gloire aux côtés d’une dépouille monumentale ou tenant en laisse l’animal debout comme un gros tronc moussu, des poignards, des pieux et des fusils ayant servi pour la chasse, et des têtes empaillées d’ours grimaçant ornaient les murs enfumés de la salle. Un vrai sanctuaire, cette salle, une tanière sacrée."
Puis Laude-Marie se fera femme de chambre, ira de foyer en foyer, aidant à la lecture, à la préparation des repas, se retrouvera dans la maison de la baronne Elvire Fontelauze d’Engrâce, où elle découvrira une étrange famille blessée par la paralysie du fils, la disparition de la fille.
Au gré de ses pérégrinations, Laude-Marie éprouve des épisodes de vision: "J’ai vu émerger de la brume un paysage de rocaille. Une sorte de bande de lande grise jonchée de cailloux biscornus, violet foncé tacheté de mauve ou de doré fané. Ces cailloux provenaient d’une pluie de météorites."
Le regard du personnage sur le monde qu’elle arpente, du sud au nord, vivant chez les uns et chez les autres, essuyant mépris, ou encore suscitant l’indifférence, est un regard pourtant plein de compassion. Traversant les années, on la retrouve âgée, à faire le bilan de sa vie solitaire, qu’elle ne regrette pas.
C’est aussi à travers ce personnage que l’on perçoit l’univers de Sylvie Germain. Celui de laissés-pour-compte croisés par la narratrice qui trouvent l’essence de la vie dans leurs propres rêves. Laude-Marie aura tenté tout au long de son existence de comprendre le monde qui l’entoure. "Et comment retraduire les échos lancés en moi par la vaste et inlassable voix du dehors, du temps en marche?"
C’est toute la démarche artistique de l’écrivaine, qui bâtit une oeuvre dans laquelle figure l’histoire du monde, à commencer par ses maux, ses guerres et ses fléaux. Mais ses romans tissés de rêves, de poésie et de grandeur redonnent aux lecteurs de Sylvie Germain un peu d’espoir et d’humanité. Éd. Gallimard, 2002, 244 p.