Le Magicien : Paraguay, le cirque
Dernier volet de la trilogie qui nous a d’abord donné Saltimbanques, en 2000, suivi l’année suivante de Kaléidoscope brisé, le cru Kokis 2002, intitulé cette fois Le Magicien, a peu à voir, a priori, avec les personnages du Grand Cirque Alberti qui ont accumulé déboires et aventures, dans les deux romans précédents, sur les routes d’Europe et d’Amérique du Sud.
Dernier volet de la trilogie qui nous a d’abord donné Saltimbanques, en 2000, suivi l’année suivante de Kaléidoscope brisé, le cru Kokis 2002, intitulé cette fois Le Magicien, a peu à voir, a priori, avec les personnages du Grand Cirque Alberti qui ont accumulé déboires et aventures, dans les deux romans précédents, sur les routes d’Europe et d’Amérique du Sud. C’est que Kokis a refermé la fenêtre sur les artistes de cirque, remisé costumes, maquillage et accessoires de spectacle, pour braquer sa lunette du côté de ceux que l’on ne peut en effet s’empêcher de prendre parfois, même chez nous, pour les pitres parmi les pitres, plus fanatiques de l’illusion que ne le sont les jongleurs, lanceurs de couteaux et manipulateurs de tout acabit: les politiciens.
Le Magicien s’ouvre sur une scène qui témoigne d’un Kokis en verve, prompt à décharger son cynisme sur la langue de bois comme sur le discours intellectuel, exposant les monstruosités des régimes dictatoriaux, et ne ratant jamais une occasion d’épiloguer sur les moeurs sexuelles des Latinos. Ainsi, reconstituant à sa manière le putsch de 1989 contre le président du Paraguay Alfredo Stroessner, Kokis raconte que le président avait la main sur le sexe d’une de ses jeunes maîtresses lorsque les putschistes ont fait irruption dans la pièce, donnant ainsi l’occasion au maître de démontrer une dernière fois le pouvoir de ses cojones: "Les spasmes de la fillette (…) témoignaient clairement du pouvoir viril légendaire du grand Rubio", écrit Kokis, avant d’expliquer, le plus sérieusement (!) du monde, dans une longue note de bas de page au lecteur, l’importance des concepts de macho et de maricón ("Le contraire de macho n’est pas hembra [femelle], car les sujets du sexe féminin n’ont qu’une existence ontologique secondaire, accessoire; le contraire de macho est maricón, avec toutes les conséquences que cela implique", prévient doctement le romancier).
On ne s’en étonnera guère: comme la définition du mâle et la longueur du pénis, la compréhension du pouvoir politique du président Stroessner est, dans Le Magicien, affaire on ne peut plus primaire. C’est à la faveur des souvenirs du conseiller privé de Stroessner, Don Dragón Fischer, que le lecteur est invité à pénétrer dans les coulisses de la dictature paraguayenne – et dans plusieurs slips ("Je me demande comment font les Argentines et les Uruguayennes pour se baigner à la plage sans devenir enceintes avec la masse de notre sperme s’en allant vers l’Atlantique", demande Stroessner). Mais Dragón n’étant en fait nul autre que le magicien Drago Spivac – qui fut expulsé du Grand Cirque Alberti quelques décennies auparavant -, les souvenirs de ce dernier sont régulièrement assaisonnés de réflexions sur les rapports entre les représentations artistique et politique. Voilà un discours qui en intéressera certains (intellectuels), alors que la plupart des lecteurs seront plus certainement fascinés par la simple, terrifiante folie dont Kokis affuble Stroessner tout au long du roman, d’autant lorsque le dictateur s’amuse des us de la politique nord-américaine: "Pas besoin de trop de mémoire ni de scrupules, d’accord? Les yankees ne sont pas minutieux et emmerdeurs au point de tout savoir et de se souvenir de tout. L’ambassadeur américain voit ce qui se passe ici, et ce qu’il voit lui plaît; ce qui ne lui plairait pas, il ne le regarde tout simplement pas. C’est très sage. Il m’a dit que ça s’appelle le pragmatisme et que c’est un des fondements de la démocratie américaine."
Roman passionnant qui se confond parfaitement avec la réalité, Le Magicien raconte l’histoire d’"un cirque armé et en état de siège", avec à sa tête le président Alfredo Stroessner, magicien hors pair. Car il n’y a pas plus magicien que celui qui réussit à tuer les gens avant qu’ils ne s’en rendent compte. XYZ éditeur, 2002, 284 pages.