Mon père : d'Éliette Abécassis
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Mon père : d’Éliette Abécassis

C’est cette relation trouble que raconte la jeune romancière française Éliette Abécassis (La Répudiée, 2000), qui se retrouve en lice pour le premier tour du prix Goncourt grâce à ce roman.

"Depuis que j’avais quitté la maison de mon père, j’avais du mal à me mouvoir dans l’espace de la vie quotidienne. J’avais quitté mon père, mais c’était pour ma chambre, j’avais quitté mon père, mais je ne pouvais voir personne, j’avais quitté mon père, mais je ne savais pas sortir et j’étais comme une enfant, j’avais quitté mon père, mais c’était pour de faux, j’avais quitté mon père, mais mon père était en moi, et sa loi aussi." Héléna a beau être partie de chez elle, être devenue adulte, le cordon n’a jamais été coupé. Pire, le fantôme de son père la poursuit puisqu’elle le reconnaît en elle et, au fond, ne vit que pour lui.

C’est cette relation trouble que raconte la jeune romancière française Éliette Abécassis (La Répudiée, 2000), qui se retrouve en lice pour le premier tour du prix Goncourt grâce à ce roman.

À la faveur d’une rencontre avec un frère, Paul, dont Héléna ne connaissait pas l’existence, s’ouvre l’abîme de ses souvenirs et de sa tristesse. À travers leurs recherches, les deux héros retrouveront la mémoire, essaieront de reconstituer le passé pour mieux déchiffrer le présent.

Pour la jeune femme, celle qui raconte l’histoire, il s’agira de décrypter ce lien si fort et étouffant qui la lie à un homme à qui elle consacre tout. "C’est à l’adolescence que je commençai à penser que je devais m’occuper de lui. Je croyais que sa tristesse venait en partie du fait qu’il était pauvre, et que la pauvreté lui pesait. (…) tout l’argent que je gagnais, c’était pour lui, c’était à lui que je le donnais."

Héléna en perd même la faculté d’aimer. Comment peut-elle aimer, si elle doit chaque fois choisir entre des hommes et lui, son père?

Beau cas de psychanalyse. "Je ne suis jamais allée au rendez-vous qu’il me fixa pour le jour d’après. – Je gardais mon père en moi comme une immense défaillance, à laquelle, quelque part, je tenais comme à la vie."

Ce livre singulier rend hommage au père, tout en condamnant son empreinte, et le poids des secrets de famille qu’il représente. L’intrigue, reposant sur cette faille évoquée plus haut, avance comme une enquête, et d’ailleurs c’est exactement cela: que cache cet homme? Qui est Paul M.? Quel lien a-t-il avec Héléna?

Bien qu’elle soit brouillonne, l’écriture d’Éliette Abécassis ne manque pas de charme et de poésie, notamment par différents procédés tels que l’accumulation ou la répétition, donnant au texte des airs de prière. "Et dans l’histoire du père, il y aussi la souffrance. Il y a l’homme qui quitte les rivages de sa ville natale. Loin! Les forêts odorantes, les grands arbres et les chemins tortueux, et plus loin encore, la petite maison, et derrière, ses vallons. Ses montagnes aux hauts plateaux, un horizon transparent. Dans la mémoire du père, il y a une ville, un quartier, une maison, que l’on laisse derrière soi, avec sa destinée (…)."

L’auteure aborde un sujet pas si commun en littérature, et en fait ressortir toute la délicatesse. Surtout, elle ne craint pas d’entrer dans l’obscurité, où sommeillent tant de monstres. Éd. Albin Michel, 2002, 136 p.

Mon père
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Eliette Abécassis