Poésie : Voix parallèles
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Poésie : Voix parallèles

Du 4 au 13 octobre, le Festival international de poésie de Trois-Rivières va une fois de plus transformer les rues trifluviennes en capitale de la poésie. À l’horaire, lectures dans les bars et cafés, tables rondes et propos elliptiques, remises de prix et délires nocturnes.

Du 4 au 13 octobre, le Festival international de poésie de Trois-Rivières va une fois de plus transformer les rues trifluviennes en capitale de la poésie. À l’horaire, lectures dans les bars et cafés, tables rondes et propos elliptiques, remises de prix et délires nocturnes. Une invasion poétique un peu dingue mais pacifique, dont les nombreux temps magiques nous rappellent chaque année que le public friand de vers et de prose est plus vaste qu’il n’y paraît. La visite idéale commence par une halte virtuelle sur le site fort complet du Festival: www.fiptr.com.

Parmi les invités de ce grand pow-wow annuel, Élise Turcotte, qui va d’ailleurs y cueillir le convoité Grand Prix de poésie du Festival. L’occasion est belle de revenir sur le recueil primé, Sombre ménagerie, paru plus tôt cette année au Noroît et dont je n’avais pas encore touché mot.

Celle qui poursuit, entre livre jeunesse, roman et poésie, un parcours des plus pertinents témoigne ici d’une intense expérience de la solitude, thématique déclinée selon divers angles: solitude du coeur isolé, du poète en territoire vierge, et plus encore solitude du trépassé. Parce que ce recueil nous fait visiter la mort, ni plus ni moins. Une mort, et sans doute des morts, dont les causes demeurent énigmatiques, bien qu’il soit tantôt question de "sang contaminé / par une maladie sans âme", tantôt "des pas de danse / près d’une voiture / accidentée". Mais l’essentiel n’est pas là, de toute manière.

On perçoit dans cette mort une métaphore de la solitude même, un espace où l’on sera à la fois entouré de corps aux formes de souvenirs et infiniment seul, flottant entre deux certitudes friables, détaché des souffrances terrestres. La mort est d’ailleurs symbolisée par une ville sous-marine où les défunts passent dans des barques lentes, où les scènes marquantes de la vie resurgissent au coin d’une rue engloutie, les amours comme les trahisons remontant comme des bulles. Plus loin, un étonnant dialogue s’établira entre un homme et une femme que la mort a séparés, dans ce lieu sans artifices mais apaisant où "il n’y a plus de bruit / ni de silence".
Élise Turcotte parvient à conférer à ce cimetière métaphorique une irrésistible légèreté, qui pourtant n’atténue pas la gravité des sujets abordés. Par ailleurs, la limpidité de son travail d’écriture fait habilement apparaître les traits d’un certain double littéraire, qui interroge l’auteure elle-même sur ses motivations créatrices et qui ressent avec une acuité décuplée les sentiments portés dans le réel.

Un Grand Prix mérité!

Je est un autre
Ce "dédoublement", Robert Melançon s’y est intéressé beaucoup dans son plus récent livre, Exercices de désoeuvrement, aussi paru au Noroît. L’auteur de Peinture aveugle et du Dessinateur questionne aujourd’hui le geste d’écrire, délimitant peu à peu le lieu de travail du poète – lieu physique mais avant tout mental. Étourdissante d’intelligence et de sensibilité, sa réflexion traduit toute la franchise et la lucidité qui président au poème réussi, impossible sans un certain recueillement. Il montre aussi la spécificité du genre: "Écrire des poèmes, c’est se prendre soi-même pour objet d’expérience. Il en résulte un dédoublement difficile à vivre, mais non sans délices, par intermittences."

Robert Melançon fait alterner "suggestions sur la poésie" et notes de lectures, traitant avec profondeur et une grande indépendance critique de son rapport aux oeuvres de Baudelaire, Emily Dickinson ou Saint-Denys Garneau, pour lequel il aura ces paroles émouvantes: "Très tôt la poésie ne fut pas chez lui une ambition d’homme de lettres mais son unique recours contre il ne savait quoi."

Ce livre-phare, l’auteur l’a coiffé d’un titre parfait, qui évoque à la fois la nécessaire persévérance du poète et sa non moins nécessaire capacité à s’effacer devant les mots, à purger son texte de ses effets faciles et de toute intention trop appuyée.

Exercices de désoeuvrement renferme des passages très forts, sans jamais en avoir la prétention. Ce qui, du reste, constitue peut-être la principale "suggestion" faite aux aventuriers du poème, qui devraient toujours garder à l’esprit que "ce texte que rien n’appelait, qui ne manquait à personne, doit inventer sa propre nécessité".

Sombre ménagerie, d’Élise Turcotte
Éditions du Noroît, 2002, 76 p.
Exercices de désoeuvrement, de Robert Melançon
Éditions du Noroît, 2002, 114 p.

Sombre ménagerie / Exercices de désoeuvrement
Sombre ménagerie / Exercices de désoeuvrement
Élise Turcotte / Robert Melançon