Banlieue : de Pierre Yergeau
Ainsi, Pierre Yergeau rompt avec les tristes histoires de la famille Hanse, rompt avec les grands espaces de l’Abitibi, rompt avec les idées de grandeur, les folies et la certitude qu’une vie meilleure existe dans un autre lieu.Pierre Yergeau a trouvé le bonheur: il se terre dans la Banlieue.
Ainsi, Pierre Yergeau rompt avec les tristes histoires de la famille Hanse, rompt avec les grands espaces de l’Abitibi, rompt avec les idées de grandeur, les folies et la certitude qu’une vie meilleure existe dans un autre lieu.
Pierre Yergeau a trouvé le bonheur: il se terre dans la Banlieue.
Imaginez, donc. Une rue bordée de bungalows. Chaque matin, pendant qu’Omega (mais vous pouvez aussi bien choisir une autre marque de commerce) tente d’installer son bambin dans l’auto (le bambin chiale, la mère se demande si elle est une bonne mère, devrait-elle ou non rester sur le marché du travail, devrait-elle ou non promettre un cadeau à son fils pour qu’il arrête de chialer), sa voisine Vichy (celle qui préfère de loin les mamours de son caniche Rothschild à ceux de son mari Point Zéro) l’épie par la fenêtre en se disant qu’Omega n’a vraiment pas d’allure. Pas plus que l’autre voisine, d’ailleurs, cette Gap qui est mariée avec Mc Do, l’électricien qui couche avec Ilsa. Imaginez aussi un fonctionnaire du ministère du Revenu qui passe le plus clair de ses journées à traquer les méchants dans son jeu d’ordinateur. Et puis des collègues de bureau qui font semblant de s’intéresser les uns aux autres. Imaginez tous ces gens qui carburent aux slogans publicitaires, qui ne rêvent qu’à finir de payer l’hypothèque et à faire installer un jacuzzi sur la terrasse en bois traité, et qui ont complètement rayé les mots authenticité et intimité de leur vocabulaire. "Tu as beau te contempler dans un miroir le matin, explique Mc Do, tu ne vois qu’un étranger qui vit dans le passé ou dans l’avenir. Si tu cherches à regarder plus près à l’intérieur de toi, ou de l’autre, tu es dans la merde."
Vous voyez le topo?
Maintenant imaginez que la personne qui vous raconte l’histoire de tout ce beau monde a d’abord fumé un très gros pétard, de sorte qu’elle saute d’une histoire à l’autre, très rapidement, sans perdre le fil; son enthousiasme à vous décrire les moindres détails de cet univers – en y allant de-ci de-là de quelques théories bien appuyées – étant tel que vous ne pouvez faire autrement que de l’écouter avec fascination.
C’est Banlieue.
Pierre Yergeau y est, comme à son habitude, drôlement déprimant. Drôle, parce que l’auteur manie avec brio les images fantaisistes: c’est Ilsa qui se fait ici arracher toutes les dents pour les remplacer par un modèle Britney Spears ("Mon Dieu! se dit-elle, est-il possible que je subisse ces tourments, seulement pour me faire baiser?); comme c’était Jérémie Hanse faisant le meuble, littéralement, pour le curé Crépeau dans L’Écrivain public; ou sa petite soeur Mie, bercée dans la marmite du cuisinier, dans La Désertion. Mais déprimant, aussi, parce que l’onirisme délirant qui traverse les romans de Yergeau ne cherche pas à masquer la réalité des personnages, leur horizon bouché, leurs rêves inutiles, leur espoir ridicule.
"Zip et ses copains vadrouillaient. Il y avait Dior, la tête enfoncée dans les épaules, couverte d’un capuchon, qui martelait un rap en marchant et Léno qui fumait en donnant des tapes sur la tête de Nike qui en avait assez de foirer. (…) Ils avaient atteint la Terre Promise. Mario Bros les avait conduits jusque-là. Tu feras de ton terrain gazonné une oasis de paix. Et à la surface de ta piscine hors terre, tu verras se refléter le visage des anges." Yergeau est passé maître dans l’art de décrire la "désexistence", de la déployer dans un récit touffu, avec la grâce d’une écriture unique. La Désertion en témoignait admirablement. Banlieue, avec ses bungalows sans âme et ses histoires de rien, le prouve hors de tout doute. L’instant même, 2002, 147 p.