Le Cargo du roi singe / La Bar-mitsva : Images parlantes
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Le Cargo du roi singe / La Bar-mitsva : Images parlantes

Le neuvième art aime bien flirter avec cette époque "paralittéraire" que fut la fin du 19e siècle anglais. Période de l’imaginaire noir où les progrès de la révolution industrielle, améliorant et uniformisant la vie quotidienne, cohabitaient avec une soif d’évasion dans les histoires policières et d’horreur. Période du succès de librairie que fut le Dracula de Bram Stocker (souvent représenté en BD par la suite) et de la popularité grandissante d’une presse racontant les crimes de Jack L’Éventreur (ce personnage apparaissait récemment dans la série Peter Pan de Régis Loisel et dans le volumineux From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell).

Le neuvième art aime bien flirter avec cette époque "paralittéraire" que fut la fin du 19e siècle anglais. Période de l’imaginaire noir où les progrès de la révolution industrielle, améliorant et uniformisant la vie quotidienne, cohabitaient avec une soif d’évasion dans les histoires policières et d’horreur. Période du succès de librairie que fut le Dracula de Bram Stocker (souvent représenté en BD par la suite) et de la popularité grandissante d’une presse racontant les crimes de Jack L’Éventreur (ce personnage apparaissait récemment dans la série Peter Pan de Régis Loisel et dans le volumineux From Hell d’Alan Moore et Eddie Campbell).

Dans la série Professeur Bell, le dessin inquiétant et la passion pour le folklore de l’occulte de Joann Sfar s’allient bien à l’Édimbourg sombre et grise de cette époque, recelant une diversité de cas insolites que collectionne le héros dans le cadre de sa pratique médicale. Dans le premier tome, Bell recevait un riche Mexicain qui le consultait pour l’ablation de sa deuxième tête, laquelle faisait obstacle à son mariage. Dans le tome suivant, intitulé Les Poupées de Jérusalem, véritable chef-d’oeuvre du bédéiste sur le plan graphique, le héros combattait le diable en personne qui, sous la forme d’un bouc bipède, déambulait dans les rues de la ville juive.

Le Cargo du roi singe est de même facture que les deux premiers albums, avec une fascination morbide pour les monstruosités, des dialogues truculents et le lyrisme désenchanté de son narrateur. Lors d’une soirée ésotérique particulièrement déconcertante, organisée par le vicieux Adam Worth, celui-ci donne le signal de départ à une chasse au singe géant, lequel a dévoré sous les yeux de ses invités l’actrice Musidora Temple. Hypnotisé par Bell, l’animal sera transporté au jardin zoologique où le héros se prêtera à d’étranges observations sur les primates, qu’il déclarera aussi monarchistes que les Anglais.

Mentionnons que pour cet épisode, Sfar, sans doute débordé par les nombreuses séries qu’il signe, s’est résolu à laisser le pinceau à Tanquerelle, qui parvient assez bien à imiter son style graphique. Un choix qui empêchera malheureusement le lecteur d’apprécier l’évolution du dessin à travers les différents épisodes.

Un chat philosophe dans les ruelles d’Alger
"Chez les juifs, on n’aime pas trop les chiens. Un chien, ça vous mord, ça vous court après, ça aboie. Et ça fait tellement longtemps que les juifs se font mordre, courir après ou aboyer dessus que, finalement, ils préfèrent les chats." Ainsi débute une autre série de Joann Sfar, Le Chat du rabbin, dans laquelle un chat parlant relate ses efforts pour convaincre son maître de lui faire passer sa bar-mitsva. En apparence beaucoup plus simple que Professeur Bell dans son dessin et sa narration, Le Chat du rabbin est moins absurde et moins éclaté en ce qu’il propose, dans une sorte de conte, une réflexion intelligente et sensible sur les préceptes de la religion juive.

À travers les planches où, parcourant les ruelles d’Alger, le rabbin vertueux initie son chat à la torah, se développe un véritable dialogue philosophique dans lequel le sceptique félin critique l’intransigeance et la trop grande vertu de certains condisciples. Le dessin alterne entre le simple croquis et des vignettes plus élaborées, comme dans ces très belles planches centrales illustrant les rêves des protagonistes. Le style expressionniste et la ligne tremblante de Sfar produisent des scènes vivantes, plus que si elles avaient été peintes de façon réaliste, et les couleurs de Brigitte Findakly rendent magnifiquement la chaleur et la luxuriance de l’Afrique du Nord. Un beau voyage dans l’imaginaire et la fantaisie.

Le Cargo du roi singe (Professeur Bell, tome 3)
de Joann Sfar et Tanquerelle, Éd. Delcourt, 2002, 48 p.
La Bar-mitsva (Le Chat du rabbin, tome 1)
de Joann Sfar, Éd. Dargaud, collection "Poisson Pilote", 2002, 48 p.

Le Cargo du roi singe / La Bar-mitsva
Le Cargo du roi singe / La Bar-mitsva
Joann Sfar