L'Ombre de la terre : Au clair de la lune
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L’Ombre de la terre : Au clair de la lune

Pendant que Giotto raconte à son petit-fils Matéo la conquête spatiale et sa passion pour les pierres lunaires, la petite Nolie, dans un mystérieux rituel, avale chaque soir quelques lucioles. De leur côté, les amies Bettina et Fioretta font de l’érotisme un art de vivre, tandis qu’un paon nommé Dieu règne sur la boutique d’un antiquaire fou. Ainsi va la vie à Orvita, petite ville italienne qui sert de décor à L’Ombre de la terre, troisième roman du musicien, dramaturge et romancier Rober Racine.

Pendant que Giotto raconte à son petit-fils Matéo la conquête spatiale et sa passion pour les pierres lunaires, la petite Nolie, dans un mystérieux rituel, avale chaque soir quelques lucioles. De leur côté, les amies Bettina et Fioretta font de l’érotisme un art de vivre, tandis qu’un paon nommé Dieu règne sur la boutique d’un antiquaire fou. Ainsi va la vie à Orvita, petite ville italienne qui sert de décor à L’Ombre de la terre, troisième roman du musicien, dramaturge et romancier Rober Racine.

L’Ombre de la terre, c’est le prolongement d’une exploration poétique des voyages lunaires dont Le Coeur de Mattingly, pièce de théâtre parue en 1999, constituait le premier volet. Dans cet univers teinté de magie, où la poésie prend vie dans le moindre caillou, Rober Racine maintient un fil narratif habile, étayant son récit rêveur, d’esprit fellinien, de bribes d’histoire astronautique et de données scientifiques fouillées.

Giotto, employé autrefois par la Nasa pour transporter aux quatre coins du monde les pierres rapportées de la Lune, demeure habité par ces cristaux extraterrestres. Il vit entre réel et visions cosmiques, faisant des cloches de l’église du quartier des modules d’alunissage, semant chez Matéo des rêves d’astronaute. Leur complicité rieuse rappelle d’ailleurs le rapport entre le gamin et le vieux projectionniste de Cinéma Paradiso.

Souvent, le même Giotto retrouve Bettina et Fioretta dans une chambre louée. Là, le curieux trio s’adonne à des jeux érotiques ludiques plus que pervers. D’abord muses, les deux jeunes femmes deviendront des confidentes, des compagnes d’évasion. Le personnage de Fioretta prendra d’ailleurs beaucoup d’importance. Âgée de moins de 20 ans, celle-ci promène un oeil désabusé sur le monde, ne vibrant que pour ses injections d’héroïne et pour l’amour violent que lui donne à l’occasion Moreno, le chanteur d’un groupe adulé. Elle incarne à elle seule toute l’expérience des extrêmes, comme une trompe-la-mort qui magnifierait les failles de l’esprit humain.

Giotto fuit aussi le monde, mais a choisi pour le faire de l’enjoliver. Dans ces morceaux de Lune qui le fascinent, on voit la beauté secrète de ses amours et de sa vie fracturée. Une beauté liée à de vives douleurs, qu’il couve jalousement mais préfère laisser en dormance, tels ces fragments "qui dormaient, bien calmes, coffrés sous verre, dans les voûtes aseptisées de la Nasa à Houston comme dans une pouponnière".

Roman chargé mais fluide et accessible – ce qui tient de l’exploit dans un registre aussi poétique -, L’Ombre de la terre a quelque chose d’une eau qui court, s’infiltre loin dans les zones du désir et des appétits intimes. Bien sûr, il y a quelque chose d’ambitieux à peindre dans le détail autant de personnages (bien d’autres entreront en scène), à tracer autant d’ellipses métaphoriques. Si le pari littéraire est tenu, son ambition même colore les pages de ce livre dont la matière aurait pu engendrer deux ou trois romans. Aisément.

D’une écriture somptueuse, L’Ombre de la terre n’en a pas moins les saveurs du festin. Pas diète, entre nous, mais festin tout de même. Éd. du Boréal, 2002, 276 p.

L'Ombre de la terre
L’Ombre de la terre
Rober Racine