Dialogues intimes / Lacan sans peine : Un gars, une fille
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Dialogues intimes / Lacan sans peine : Un gars, une fille

Qu’ont en commun la romancière Hélène Rioux et le psychanalyste Jacques Lacan? À vrai dire, pas grand-chose, sinon peut-être que tous deux, et surtout le second, ont un goût pour les choses complexes, et que ce penchant pour la pensée un peu tortueuse a souvent gardé leurs écrits, malheureusement, loin du commun lecteur.

Qu’ont en commun la romancière Hélène Rioux et le psychanalyste Jacques Lacan? À vrai dire, pas grand-chose, sinon peut-être que tous deux, et surtout le second, ont un goût pour les choses complexes, et que ce penchant pour la pensée un peu tortueuse a souvent gardé leurs écrits, malheureusement, loin du commun lecteur.

Et puisqu’il s’adonne que deux plaquettes pouvant concourir à réparer cette injustice partagée aboutissent en même temps sur les rayons des nouveautés, il semblait presque normal de faire d’une pierre deux coups: parler du délicieux récit de madame Rioux intitulé Dialogues intimes, et du court essai que consacre la psychanalyste parisienne Corinne Maier à Lacan, au titre contradictoire – mais la psychanalyse lacanienne n’en sera pas à une antilogie près – de Lacan sans peine.

Hélène Rioux écrit depuis plus de 30 ans. Des poèmes, des tas de traductions superbes (dont La Chanson d’Arbonne, de Guy Gavriel Kay, et Self, de Yann Martel), et des romans comme Les Miroirs d’Éléonore, dont la structure s’est sophistiquée, ce qui est un peu normal, au fil des décennies d’écriture. Avec Dialogues intimes, Hélène Rioux nous fait découvrir une facette de sa création que l’on connaît peu. Sur un ton léger et avec un humour qui rappelle beaucoup celui de Nicole de Buron dans ses petits livres comiques (comme Chéri tu m’écoutes? Alors répète ce que je viens de dire), l’écrivaine raconte 10 scènes tout ce qu’il y a de plus classiques entre concubins. En tout cas, si vous avez déjà suggéré à votre conjoint d’aller manger dans un bon petit resto avant d’aller voir le dernier Godard, et que vous vous êtes en fin de compte retrouvés devant une pizza et Arnold Schwarzenegger, vous reconnaîtrez le scénario. On dit blanc, l’autre dit gris, l’un des deux dit merde, et sans que l’on sache trop comment, on finit par s’entendre pour dire tous les deux la même chose, mais aucun n’est véritablement satisfait.

Chacune des 10 histoires est narrée de la même façon: on part sur la belle suggestion de l’un (mais plus souvent de l’autre) à propos d’un voyage, du réveillon de Noël, d’une couleur de peinture ou d’un chapitre du Kama-Sutra, et on en montre toutes les variations, jusqu’à la dernière qui, est-ce utile de le préciser, n’est généralement pas des plus heureuses. C’est ainsi que le plat de saumon poché au beurre blanc est remplacé par une lasagne congelée, et qu’au lieu de faire de la planche à voile dans les Antilles, Elle et Lui iront se faire dévorer par les moustiques dans un camping du Témiscamingue!

Est-ce Elle ou Lui qui change le plus souvent d’idée? Qui est donc le plus névrosé des deux?

À en croire Corinne Maier, Jacques Lacan aurait sans doute répondu que les deux sont névrosés, que de toute façon tout le monde est fou, et que là n’est pas le problème. C’est bien une des difficultés que pose l’oeuvre de Lacan. Le psychanalyste, réputé pour son intelligence autant que ses extravagances et son refus de l’ordre établi, n’a pas coulé comme d’aucuns ses théories dans le béton. Si l’on peut sans trop se tromper dire qu’il a mis le "désir" au faîte du fragile édifice de la psyché humaine, on peut errer longtemps à tenter de comprendre sa pensée compliquée. Que pense Lacan des héros, des saints, de Sade, de Descartes? Comment a-t-il relu à sa manière les classiques rapportés par Freud: L’Homme aux rats, Dora, et bien sûr Odipe? Corinne Maier nous donne sans conteste un petit coup de pouce dans son ouvrage, écrit sur un ton joyeux, dans lequel elle explique Lacan en une quarantaine d’instantanés de ce genre. On n’en sort pas un expert, mais on en retient bien quelques idées. Comme celle-là: "Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas." Eh ben voilà, pas étonnant qu’hommes et femmes aient du mal à s’entendre.

Dialogues intimes, d’Hélène Rioux
Éd. XYZ, 2002, 79 p.
Lacan sans peine, de Corinne Maier
Éd. Stanké, 2002, 149 p.

Dialogues intimes
Dialogues intimes
Hélène Rioux