Guy Gavriel Kay : L’empire contre-attaque
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Guy Gavriel Kay : L’empire contre-attaque

À notre tour de découvrir La Mosaïque sarantine du Canadien GUY GAVRIEL KAY. Nous avons joint l’auteur à Toronto, où il réside, pour qu’il nous parle de cette fresque historique à la manière fantasy.

À la sortie de Sarantine Mosaic, en 1998, les critiques anglophones n’ont pas hésité à dire que ce diptyque sur l’empire byzantin était la meilleure oeuvre de Guy Gavriel Kay. Un compliment que l’auteur trouve à la fois flatteur et effrayant. "D’un côté, on aime tous penser qu’en vieillissant, on devient plus habile dans le maniement de notre art. Mais en même temps, ce compliment implique qu’on a atteint notre limite. Après un certain nombre d’années, chaque auteur a le sentiment d’être en compétition avec lui-même."

Si l’on ajoute à cela les commentaires des critiques, il est facile de se laisser envahir par l’anxiété… "Surtout le moment venu d’écrire le livre suivant, ajoute l’auteur. L’un des seuls avantages de vieillir, c’est qu’avec l’expérience, on gère mieux notre peur, même si on n’est jamais sûr que le prochain livre sera à la hauteur des attentes. Chaque matin, j’ai cette impression que je ne serai plus jamais capable d’écrire une phrase intelligente. Chaque matin, je crois que c’est fini." Mais, heureusement pour Kay, ce moment d’anxiété paraît de plus en plus court!

Que l’écrivain se rassure. Tout au long de la lecture de cet ambitieux projet de plus de 1000 pages, on n’a pas l’impression que l’auteur de Tigane et des Lions d’Al-Rassan (éd. Alire, 1998 et 1999) a atteint sa limite. Au contraire, on a plutôt le sentiment de s’abandonner à un conteur en pleine possession de ses moyens, qui sait exactement où il s’en va.

La belle histoire
Kay est peut-être considéré comme un auteur de fantasy, il n’en reste pas moins que ses livres sont inspirés par la grande histoire. D’où son titre d’auteur de fantasy historique, un genre littéraire qu’il a inventé, et qu’il est le seul à pratiquer. La Mosaïque sarantine raconte l’histoire de l’empire byzantin sous le règne de Justinien et Théodora (qui dura de 527 à 565). L’écrivain précise qu’il s’inspire d’une période de notre passé pour mieux la réinventer ensuite. "Personne ne sait vraiment comment s’est déroulé ce moment de l’histoire. Dans ce sens, la fantasy est un outil merveilleux, qui permet de revoir le passé, sans présumer de ce qui est réellement arrivé. On sait à quoi ressemblait la relation entre Justinien et Théodora, mais on ne sait pas ce qu’ils se disaient dans l’intimité de leurs appartements privés. En tant qu’auteur, je suis très inconfortable avec la nouvelle tendance qui veut que des écrivains utilisent des personnages historiques pour ensuite leur faire faire ce qu’ils veulent dans leurs romans, sans respect pour les faits réels. Dans La Mosaïque sarantine, mes personnages Valérius II et Alixana sont inspirés par Justinien et Théodora, mais ce ne sont pas les mêmes personnes", souligne Kay.

Réalisme et fantasy
Cela dit, l’impression de réalisme n’est pas seulement due au fait que La Mosaïque sarantine s’inspire de l’histoire. "C’est la preuve que j’ai bien fait mes devoirs", plaisante à moitié l’écrivain, qui a consacré quatre années à lire, prendre des notes et correspondre avec des spécialistes de l’empire byzantin. "J’ai tellement lu sur le sujet que je suis moi-même devenu une sommité de l’empire byzantin et des courses de chars, extrêmement populaires à l’époque! En effet, à travers mes recherches, j’ai pu constater que les gens vénéraient deux types d’hommes: les prêtres et les conducteurs de chars. Je me suis aussi renseigné sur la médecine et, bien sûr, sur le métier de mosaïste, puisque le personnage-pivot des deux romans, Caius Crispus, est un mosaïste."

Ce dernier s’installe à Sarance sous l’ordre de l’empereur Valérius II, afin d’exécuter une mosaïque dans le magnifique sanctuaire qu’il a fait ériger dans le but d’immortaliser son règne. Ce désir d’immortalité, on réalise que tous les personnages le partagent, à divers degrés. "En général, quand les gens pensent à la fantasy, ils ont en tête un genre littéraire plaisant, mais vide de contenu, déplore Kay. Je veux certes continuer à écrire des livres divertissants, remplis d’aventures et d’érotisme, mais je désire également y ajouter un élément supplémentaire: dans ce livre, j’explore le besoin universel, qui remonte à la nuit des temps, de laisser sa marque, de construire quelque chose qui nous survivra."

Dans la foulée du succès de films comme Gladiator et Lord of the Rings, adaptation des romans de Tolkien, l’auteur admet que l’intérêt pour la fantasy connaît un important regain. "Le genre est accessible à un plus large public grâce au cinéma. Conséquence directe de cette popularité, mes agents sont présentement en discussions avec plusieurs producteurs de Los Angeles intéressés à adapter trois de mes romans!"

Les nouvelles technologies
Selon Kay, un autre facteur explique le soudain intérêt des producteurs pour ce genre de films: les progrès de la technologie. "Les nouveaux moyens permettent maintenant d’adapter fidèlement les romans de fantasy, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années seulement", souligne l’écrivain. Lui qui a collaboré à l’édition de l’ouvrage posthume de Tolkien, Le Silmarillon, n’a qu’un bref commentaire sur l’adaptation de Lord of the Rings par le cinéaste Peter Jackson. "Il s’en est sorti de façon honorable, grâce à un travail très consciencieux. En ce sens, je respecte ce qu’il a fait", dit-il. Et justement, le 12 novembre, les éditions Alire rééditent La Tapisserie de Fionavar, première oeuvre de Kay, largement inspirée par Tolkien.

Quant au livre sur lequel il travaille présentement, l’auteur ne veut pas en parler, question de conserver une plus grande liberté d’action quant à l’évolution de l’intrigue, qu’il ne détermine jamais à l’avance. Il est par contre heureux d’annoncer la parution, en avril 2003, de Beyond This Dark House, un recueil de poèmes qu’il a écrits au cours des 20 dernières années. Traduit par Elisabeth Vonarburg.

La Mosaïque sarantine
Voile vers Sarance – 1
Seigneur des empereurs – 2
de Guy Gavriel Kay
Éditions Alire
2002, 576 pages et 640 pages