Le Retour d'Ariane : de Pierre Tourangeau
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Le Retour d’Ariane : de Pierre Tourangeau

Nombreux ces dernières années à s’aventurer dans le champ romanesque, les journalistes font prendre l’air à la littérature québécoise. Ne s’embarrassant pas de frontières, les pérégrinations de leurs héros les entraînent généralement fort loin du Plateau Mont-Royal… Comme Gil Courtemanche avant lui, PIERRE TOURANGEAN a fait de l’horrible génocide rwandais son point de départ. Mais le troisième roman du reporter de Radio-Canada nous promène aussi de Hong Kong en Thaïlande, sur la piste du fantôme d’Ariane.

Ce livre touffu et noir constitue surtout un voyage dans l’esprit troublé de Ruben Adams, un diplomate irlando-québécois qui va de guerre en massacre, pour le compte du ministère canadien des Affaires étrangères. Une fuite en avant pour ce misanthrope désabusé qui ne guérit pas d’aimer passionnément depuis l’adolescence la trop belle, trop libre et trop dure Ariane.

Cet homme qui ne croit à rien a d’épiques discussions avec la blonde bourlingueuse, qui s’est convertie au bouddhisme – Pierre Tourangeau a inséré en tête de chaque chapitre un extrait du fameux Livre des morts tibétain. Une croyance selon laquelle le désir est la source de toute souffrance. Celle de Ruben, rageuse et torturée, éclate à chaque page.

Infectée par un virus jamais nommé (mais pas trop difficile à deviner…), Ari vient de rendre l’âme. Poursuivi par des visions d’elle, notre cynique décide de partir sur les traces de son illumination spirituelle. La piste se révèle semée de cadavres, et l’enquête policière se confond avec la quête existentielle d’un homme perdu entre les royaumes des vivants et des morts, en pleine descente aux enfers. Dans ce délire, on en vient à ne plus départager le cauchemar de la réalité. Désarçonnant…

Abandonnant Larry Tremblay, le protagoniste de ses précédents romans Larry Volt et La Dot de la Mère Missel, l’auteur laisse ici presque toute la place au pessimisme. Hanté par la mort, l’amour, la haine, la souffrance, la culpabilité, le mal, Le Retour d’Ariane embrasse le regard dénué de compassion que son narrateur pose sur l’humanité – et sur lui-même. Pour Ruben Adams, l’enfer est résolument de ce monde.

"Je ne suis pas blanc comme neige puisque le mal est partout, comme la misère et la souffrance ses frangines, et que je me déclare inapte à les éradiquer, pire, que je les tolère à force de les côtoyer. (…) on ne s’émeut plus tout court, on se dit qu’on ne juge pas, on appelle ça de la tolérance, voire de la sagesse. Mais en réalité, c’est nous-même qu’on renonce à juger, vous voyez? Alors, l’innocence est une notion qui ne rime à rien, qui naît de notre fausse impuissance, de notre aveuglement, de notre lâcheté."

Voici un livre excessif, porté par l’obsession d’un homme pour une femme inaccessible (ah, ce grand thème de nombre de romans masculins!), qu’il voit partout. Ruben revit cette passion étalée sur 30 ans selon le mode complexe et fluide de la mémoire, où un souvenir en appelle un plus ancien.

Parfois lassé par cette surcharge, le lecteur, lui, risque une overdose d’Ariane… et d’être un peu perplexe face à cette histoire aux accents mystiques. Mais l’écriture très dense de Pierre Tourangeau possède une incontestable puissance.

Le Retour d’Ariane
de Pierre Tourangeau
XYZ
2002, 219 pages