Marie Quatdoigts / Le Petit Pont de la Louve : Jeux d’enfants
Elles se croient deux erreurs de la nature, elles se prénomment Marie et Mathilde, et elles sont les jeunes héroïnes des nouveaux romans de Roger Des Roches et de Jean-François Beauchemin. Si elles ont en commun d’être affublées d’une anomalie physique, d’avoir pour seul compagnon un garçon aussi reject qu’elles, et de ne pas être barrées pour deux sous, là s’arrêtent les ressemblances.
Elles se croient deux erreurs de la nature, elles se prénomment Marie et Mathilde, et elles sont les jeunes héroïnes des nouveaux romans de Roger Des Roches et de Jean-François Beauchemin. Si elles ont en commun d’être affublées d’une anomalie physique, d’avoir pour seul compagnon un garçon aussi reject qu’elles, et de ne pas être barrées pour deux sous, là s’arrêtent les ressemblances. Car alors que Des Roches signe avec Marie Quatdoigts un premier roman jeunesse enlevant, Beauchemin donne avec Le Petit Pont de la Louve un quatrième roman (adulte) qui reprend le même ton enfantin que celui des trois premiers, sans l’inventivité et la charge dramatique que l’on pouvait trouver dans les précédents.
En découvrant çà et là dans Le Petit Pont… un (gros) clin d’oeil à Gros-Câlin, un autre à Dumbo, ici l’ombre de Zazie dans le métro, là celle de Les vieux ne courent pas les rues (une pièce de Jean-Pierre Boucher), on se sent un peu comme devant un pénultième Walt Disney, un soufflé qu’on nous sert réchauffé sous prétexte que tous ses ingrédients ont fait leurs preuves, comme si cela suffisait à le faire lever. Voyez. Mathilde est venue au monde avec une paire d’oreilles énormes. Plutôt que de lui suggérer un rendez-vous chez le chirurgien – ce qui eût tout de même été un cheminement logique, de nos jours -, ses parents lui offrent de se choisir un animal de compagnie. La petite jette son dévolu sur le seul animal sans oreilles, aussi repoussant qu’elle se croit être: un serpent, qu’elle baptise Canif, et dont le nom veut évoquer la violence qui habite la petite, qu’elle dirige à tort et à travers, contre ses parents, son ami Maurice, et contre le couple qui tient l’animalerie, les Moucherolle, deux petits vieux tellement moches et âgés qu’elle jugerait préférable de leur faire la peau. Le problème, c’est que Beauchemin, avec le ton amusant qu’il tient tout au long du roman, n’arrive pas à exprimer la violence. On ne croit pas un instant sa Mathilde assez désespérée pour se suicider ou pour empoisonner les Moucherolle, et les petites formules moralisatrices (du genre "il y a tant à découvrir derrière les apparences! Tous nos traits sont autant de leurres!") nous laissent penser que le romancier, aussi accro soit-il aux bons sentiments, prend peut-être aussi ses lecteurs pour des demeurés.
Le poète Roger Des Roches, qui a derrière lui une trentaine d’ouvrages lorsqu’il écrit Marie Quatdoigts, sait toucher son lecteur sans le moindre détour. Il faut dire qu’il aurait pensé longtemps à ce roman. Alors que Des Roches tentait sans succès depuis plusieurs années d’écrire un roman pour la jeunesse, il est appelé à faire du bénévolat à la bibliothèque de l’école où étudie sa fille, alors en troisième année. Il se donne pour défi de lire chaque semaine aux enfants un nouvel épisode du roman qu’il réécrit ainsi, de force, profitant des réactions de ses auditeurs pour ajuster son tir. C’est un succès. La narration démarre en trombe avec une Marie frondeuse, méfiante lorsqu’un nouveau venu aux cheveux roux demande à s’asseoir à sa table à la cafétéria. Des Roches a choisi de faire parler sa Marie Gadbois (rebaptisée Quatdoigts par son vilain petit voisin parce qu’il lui manque ses deux annulaires), dans la première moitié du roman, sans qu’on n’entende jamais son interlocuteur, ce qui donne un monologue rapide, extrêmement expressif. En seconde partie, c’est le nouveau copain de Marie, Robert, qui est d’ailleurs pas mal amoureux de cette seule autre membre de leur "Club des bizarroïdes", qui s’exprime à son tour à travers son journal intime. Pas de morale bonbon dans Marie Quatdoigts, mais des personnages vrais, dont on sent parfaitement dans les gestes et paroles le désarroi, la timidité, la cruauté, mais aussi la fronde, le désir et la formidable énergie. La preuve par huit que la différence est un obstacle à surmonter, comme les railleries, comme les peines d’amour, et que les romans peuvent souvent raconter la vie mieux que le fait la vie elle-même.
Marie Quatdoigts, de Roger Des Roches
Québec Amérique jeunesse, 2002, 156 p.
Le Petit Pont de la Louve, de Jean-François Beauchemin
Québec Amérique, 2002, 113 p.