Les Bonheurs d'un héros incertain : de Noël Audet
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Les Bonheurs d’un héros incertain : de Noël Audet

Il a toujours ce petit sourire derrière sa moustache fournie, comme une manière de laisser entendre qu’il a plus d’un tour dans son sac, mais qu’il ne nous les montrera que s’il en a vraiment envie.

Il a toujours ce petit sourire derrière sa moustache fournie, comme une manière de laisser entendre qu’il a plus d’un tour dans son sac, mais qu’il ne nous les montrera que s’il en a vraiment envie.

Noël Audet fait penser à l’eau calme sous laquelle bouillonne, toujours contenue, la tempête. Il a une écriture coulante, un style élégant, sans fioritures, et une pratique délicieuse de la métaphore marine: des "oreilles si parfaitement chantournées qu’il y voyait des conques polies et repolies par une mer de caresses", "comme le grand aigle pêcheur, il plongerait vers elle, il l’épouserait et lui ferait l’amour sans fin", "il se mit à planer sous les étoiles, comme un grand vaisseau royal qui n’a plus de pilote"… Noël Audet vient de signer Les Bonheurs d’un héros incertain, un roman qui raconte l’histoire d’un homme ordinaire, qui courait après une vie extraordinaire. S’y déploient les thèmes chers à ce fils de la Gaspésie: le bonheur fragile de s’abandonner à l’amour comme à la caresse du vent marin, la joie des rêveries qui n’ont pourtant de cesse d’être tourmentées par les autres, par les nécessités de la famille, de la vie, de la réalité. Son "héros incertain" est un homme comme il s’en est trouvé bien d’autres à l’époque où se situe le roman. Royal Léger, né dans un petit village de Gaspésie dans les années 40, dernier d’une famille de 11 enfants, n’a ni le pouce vert ni le pied marin (ni la bénédiction paternelle, peu s’en faut), mais il a des rêves plein la tête. Son premier, à 12 ans: faire chavirer le coeur de la fille du notaire. Mais voilà que le pigeon voyageur qu’il charge d’un message d’amour et d’une bague pour la dulcinée se fait attaquer par un épervier, et que Royal en est quitte pour sa première peine d’amour.

Noël Audet ne craint pas d’expérimenter, d’un titre à l’autre, avec la structure narrative; c’est un travail d’autant plus admirable que ce romancier devenu hyper populaire après l’adaptation en série télé de son roman À l’ombre de l’épervier aurait bien pu se trouver une recette et s’y caler les pieds. Mais il a fait depuis, entre autres choses, ce livre à la construction assez sophistiquée, Frontières ou Tableaux d’Amérique, et puis ce drôle de roman, La Terre promise, Remember!, dont le personnage central est un cochon volant.

La structure de ce nouveau roman, si elle n’est pas originale, est maîtrisée. Alors que Royal, devenu sexagénaire, après une vie passée à exécuter des tours de magie, décide de se laisser mourir dans son petit appartement montréalais, un ancien camarade devenu journaliste fait irruption dans son logement. Refusant de laisser Royal mourir, l’ami propose d’être son biographe, histoire de permettre au magicien de laisser sa trace avant de disparaître une fois pour toutes. Grâce à une narration à deux temps, le lecteur pourra donc suivre le film de la vie de Royal, qui sera entrecoupé de dialogues entre le magicien et le journaliste: commentaires qui tournent autour de l’amour, de la vie, de la politique, et de l’opposition entre l’illusion et la réalité.

Quoi en comprendre? Dessous l’eau calme de ces Bonheurs d’un héros incertain, grondent des morceaux de la condition humaine. De la difficulté à reconnaître le bonheur quand on l’a sous les yeux. De l’inutilité de courir sans fin. Moins des constats que des morceaux incertains, justement, lancés avec la voix posée d’un vieux marin qui a parcouru bien des mers, et qui continue de s’interroger encore et encore sur leurs mystères. XYZ Éditeur, 2002, 227 p.

Les Bonheurs d'un héros incertain
Les Bonheurs d’un héros incertain
Noël Audet