Madeleine Gagnon : Chemin faisant
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Madeleine Gagnon : Chemin faisant

Lauréate du prix Athanase-David 2002, qui récompense une oeuvre littéraire, MADELEINE GAGNON célèbre une carrière féconde et un parcours intellectuel captivant. Elle commente avec nous l’évolution de notre littérature.

Madeleine Gagnon vient de remporter un prix littéraire important: en effet, le prix Athanase-David couronne une oeuvre, un parcours symbolisé aujourd’hui par la publication du Chant de la terre (Typo), une anthologie de poèmes parus entre 1978 et 2002. "Je suis très fière de publier dans cette collection une anthologie de ma poésie, signale Madeleine Gagnon, de passage à nos bureaux la semaine dernière, la veille de la cérémonie. Le choix a été fait par Paul Chanel Malenfant, et j’en suis très contente; comme mes livres ne sont plus tous disponibles – parce qu’ils étaient publiés chez plusieurs éditeurs -, voilà au moins certains de mes textes réunis qui couvrent non seulement ce que j’ai écrit mais aussi toute une période de la littérature québécoise."

Si les années 60 et 70 furent très fertiles pour les écrivains québécois (portés par le mouvement nationaliste et le mouvement des femmes, entre autres), ce fut une époque également très "artisanale", soulève Gagnon. "C’était enivrant côté inspiration, mais pour le reste, ce n’était pas évident: nous n’avions même pas de contrat avec les éditeurs, c’est dire! Cela est venu après, avec la création de l’Union des écrivains du Québec (UNEQ), qui fête d’ailleurs ses 25 ans cette année."

On ne fera donc pas dire à Madeleine Gagnon que c’était le bon vieux temps… "Oh non! Moi je suis très contente de la situation actuelle: aujourd’hui, la machine est très perfectionnée, tout s’est professionnalisé; on a fait de tous les rouages du milieu de véritables professions (critique littéraire, relations de presse, direction littéraire, etc.), et je trouve cela très profitable aux écrivains. On sait où sont les relais, et les écrivains sont mieux servis." Pourtant, certains écrivains n’aiment pas trop cet aspect du métier. Gagnon, si. "Parler de son livre, c’est agréable: personnellement, j’aime participer à sa mise au monde publique. Par contre, après, il faut tout oublier… et replonger dans son propre univers."

Dire le monde
La feuille de route de Madeleine Gagnon est impressionnante. Elle a une maîtrise en philosophie et un doctorat en littérature; elle a également enseigné la création et les théories littéraires pendant de nombreuses années, et participé à plusieurs revues et mouvements, en plus de toucher au syndicalisme lorsqu’elle était prof. Elle a publié des essais littéraires, des romans et nouvelles (des Morts-vivants, 1969, jusqu’au Deuil du soleil, 1998), des poèmes, bien sûr, et elle a remporté le Prix du Gouverneur général en poésie en 1991, pour Chant pour un Québec lointain.

L’écrivaine a également beaucoup voyagé, notamment ces dernières années, puisqu’elle a travaillé en tandem avec Monique Durand pour la réalisation de la série radiophonique Les Femmes et la Guerre, devenue un livre qui fut traduit en espagnol, en anglais, etc.

Un livre qui a placé son auteure sur la sellette sans qu’elle l’ait cherché. "Je n’ai rien provoqué, explique Gagnon: je peux dire que c’est le livre qui a tout fait! Je suis allée à Bouillon de culture parce que Pivot avait lu mon livre et qu’il voulait me recevoir, je n’ai rien demandé. Même chose pour la publication en France et dans d’autres pays. Aujourd’hui, je voyage beaucoup pour parler de cet essai et je crois que c’est tout simplement une question de circonstances." Qu’on ne s’y trompe pas: c’est aussi parce que le livre est très bon. Unanimement salué par la critique, il a ouvert un débat sur la guerre et ses causes, sur sa complexité – tout comme l’a fait le roman de Gil Courtemanche Un dimanche à la piscine à Kigali, dans un autre registre.

Madeleine Gagnon aime les débats. Alors que beaucoup d’écrivains ont peur de se prononcer, elle dit sans gêne ce qui lui fait peur dans notre milieu frileux: la complaisance de la critique. "C’est l’un des dangers pour l’évolution de notre littérature. Je me pose certaines questions car je sais, pour en avoir connu, que certains journalistes commencent à trouver le milieu trop petit et à craindre les effets de leurs critiques. Il ne faut pas avoir peur d’écrire ce que l’on pense, on ne peut pas bâtir une littérature autour du consensus."

Selon Gagnon, la faible population y est pour quelque chose. "Bien sûr, nous sommes peu nombreux, alors forcément tout le monde se connaît. Mais je sais aussi que dans des sociétés plus larges, comme en France par exemple, il commence à se passer la même chose. Je crois que même si les relais sont mieux développés, il faut faire attention et continuer à encourager la critique littéraire véritable. Et il y en a de moins en moins chez nous."

À bon entendeur…

Chant de la terre
Chant de la terre
Madeleine Gagnon